La recherche d’un dispositif perrein pour répondre aux besoins de crédit des opérateurs de la pêche au Sénégal
10 / 1999
Le Credetip est une ONG créée depuis 1989. Elle s’est spécialisée dans la pêche artisanale. Comme la majeure partie des ONG le font dans le milieu rural en direction des paysans, le Credetip a lancé depuis 90 un programme de crédit. Celui-ci est destiné aux femmes transformatrices et vendeuses de poisson frais. Notre implication dans le domaine du crédit se justifiait pour les raisons suivantes. D’abord, il y a de grands besoins en fonds de roulement pour l’achat de produits soit à revendre frais, soit à transformer avant écoulement sur les marchés. Ensuite, les institutions financières conventionnelles ont toutes les difficultés à s’adapter et à répondre aux besoins de ces femmes qui relèvent du secteur informel. Face à cette situation, le Credetip a démarré à partir de 1990, un programme de crédit avec l’appui de ses partenaires du Nord tels que Pain Pour Le Monde, Misereor, Le Secours Catholique et le CCFD (Comité Catholique contre la faim et pour le Développement). Ce programme consistait à mettre en place des fonds de roulement permettant aux femmes de s’approvisionner dans un nouveau contexte caractérisé par la rareté du poisson et une forte concurrence de la part des mareyeurs-hommes. L’image d’une pêche artisanale où la femme du pêcheur a une priorité sur les débarquements de son "mari pêcheur" n’est de plus en plus qu’un vieux souvenir. Les gros mareyeurs, par le biais du crédit informel qu’ils mettent à la disposition des pêcheurs, ont une certaine mainmise sur le produit dans certaines localités. Les mareyeurs s’assurent de la fidélité du pêcheur en lui accordant du crédit informel.
A partir de 1996, le Credetip et les femmes du Cnps ont décidé de faire une capitalisation de cette expérience. Suite à cet exercice qui nous a permis de réfléchir sur notre propre action dans le domaine du crédit, nous avons changé d’approche. Les raisons présidant à cette profonde remise en question de notre programme de crédit sont les suivantes :
- le micro crédit ne répond plus aux besoins grandissants des acteurs de la pêche en pleine mutation. Pour faire face à la concurrence des mareyeurs, les femmes du micro-mareyage doivent disposer de fonds assez substantiels. Au-delà du pouvoir acquis par les mareyeurs à travers le crédit informel, la rareté des produits oblige les femmes à disposer de fonds importants et en temps réel afin de pouvoir s’approvisionner de façon efficace ;
-les ONG, par le biais de l’argent, mettent les organisations dans une relation de dépendance vis-à-vis d’elles et empêchent l’autonomisation des femmes ;
-le " rôle de courtiers financiers" assumé par les ONG, déstabilise parfois les initiatives locales de certaines organisations. Ces ONG comme le Credetip, partagées entre un rôle de "courtiers financiers" et celui d’"acteurs très engagés dans le social" éprouvent de grandes difficultés lors du recouvrement des prêts.
Le Credetip continuait à avoir une politique sectorielle en matière de crédit, ce qui était de plus en plus loin de la réalité sociologique des femmes bénéficiaires des programmes de crédit. En effet, car les femmes dépendant de la pêche font partie d’un environnement socio-économique plus large. La pêche et ses activités annexes ne peuvent être isolées de cet environnement englobant. Pour cette raison, les femmes trouvent normal que des fonds initialement prévus pour l’achat de poisson puissent être utilisés à d’autres fins ; pour autant qu’elles puissent rembourser à temps leur crédit. Par exemple certaines femmes ont du utiliser des crédits initialement prévus pour l’achat de poissons pour des besoins sociaux imprévus.
- l’épargne dégagée par les pêcheurs artisanaux et les femmes transformatrices-mareyeuses est insuffisante pour l’autofinancement des opérateurs de la pêche ; le nouvel enjeu pour ces derniers est de voir comment faire profiter au maximum ces pêcheurs et ces femmes de l’épargne produite par d’autres intervenants de la filière : mareyeurs, vendeurs d’équipements de pêche, etc.
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, Senegal
S’appuyant sur ces constats, nous avons jugé indispensable de changer d’orientation et d’accompagner les femmes vers la recherche d’une solution durable et efficace aux problèmes de financement. Cette nouvelle approche nous a amenés en même temps à devoir replacer la pêche dans un contexte plus global. Ainsi, depuis trois ans, le Cnps a décidé de rompre progressivement avec la logique de l’argent chaud injecté par les ONG et d’envisager plutôt de se doter d’un dispositif perrein afin de pouvoir répondre de façon efficace aux besoins de ses membres.
Pour y parvenir, le Cnps avec l’appui du Credetip a commencé à développer un partenariat avec les structures avec le lancement d’un programme de Mutuelles d’épargne et de crédit. Aujourd’hui, les comités locaux du Cnps des villages de Hann, Soumbedioune, Mbour et Joal ont mis sur pied des mutuelles d’épargne et de crédit. Ces différents groupes travaillent avec le Crédit Mutuel du Sénégal qui est membre du réseau international CICM. Les avantages de la "mutualisation" de ces groupes de femmes sont multiples. Premièrement, il y va de la responsabilisation des femmes et du renforcement de leur pouvoir de négociation. Deuxièmement, en se libérant de la dépendance vis-à-vis du Credetip et en se rapprochant des réseaux mutualistes, elles commencent à rompre avec le sentiment qu’elles ne sont pas éligibles au niveau de ces institutions. Plusieurs d’entre elles font maintenant partie des conseils d’administration de grands réseaux mutualistes. Et enfin troisièmement, elles participent à la gestion de leurs fonds avec l’approche de proximité qui est l’un des principes fondamentaux du mouvement mutualiste.
Aliou Sall est socio-anthropologue, spécialiste de la pêche. Il est aussi le secrétaire exécutif du Credetip.
Original text
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