02 / 1999
L’outil projet-programme est aujourd’hui souvent critiqué mais sa prépondérance croît. En effet, le nombre d’acteurs dans les circuits de l’aide internationale s’étend, en particulier par l’utilisation de multiples ONG du Nord et du Sud, en lieu et place des administrations publiques et des sociétés d’Etat. Ces acteurs se procurent la majeure partie de leurs ressources grâce aux cofinancements obtenus auprès des agences publiques, lesquelles imposent l’instrument projet-programme. Or, celui-ci est rarement adapté au financement des activités d’une organisation paysanne.
En effet, un document de projet est un pont. Il assure un lien entre un groupe de villageois et un organisme d’aide. Mais ce lien déforme souvent la réalité. Il fait entrer de force l’initiative des gens, existante ou potentielle, dans le cadre des prévisions de dépenses de l’agence. Et tout, dès lors, se centre sur cet argent à venir. Quand, une fois négocié, le projet s’exécutera sur le terrain, ses promoteurs chercheront l’appui de la population, sa participation.
Le système d’aide utilise l’outil projet-programme pour obtenir à la fois une prévision des objectifs et un budget. Ce faisant, il force tous les acteurs à raisonner, puis à agir, selon un raisonnement déductif : l’objectif étant déterminé, on trouve la voie pour le réaliser, on définit les mesures d’accompagnement, on fixe le volume des moyens. Tout est ainsi fixé a priori. Or, dans les villages, peu d’acteurs sont maîtres de leurs actions et capables de contrôler les facteurs de réussite et les événements imprévus. Plutôt que de reconnaître cela, l’agence va tenter d’organiser, dès l’avant-projet, la bonne exécution de celui-ci. Elle cherche à se rassurer en fixant les délais, en précisant les lignes budgétaires et les détails comptables, en préparant d’avance les critères et les indicateurs d’évaluation et en envoyant des consultants pour revoir périodiquement les écarts entre le prévu et le réalisé.
Quatre raisons démontrent qu’il peut être irrationnel d’utiliser la méthode projet-programme pour le développement rural.
En premier lieu, la prévision des activités n’est-elle pas aléatoire et parfois nuisible ?
Elle est aléatoire quand celui qui projette ne dispose pas de données sûres et précises. Par exemple, comment connaître, deux ou trois ans à l’avance, le volume des forces de travail disponibles dans un village sahélien où la majorité des hommes sont contraints, si la récolte est mauvaise, à chercher un travail temporaire en ville ? Prévoir, c’est aussi énoncer un présupposé sur les besoins que les gens voudront satisfaire en priorité à un moment déterminé. Quand les gens sont inorganisés et se trouvent à la limite de la survie, sont-ils en situation de prévoir ce qu’ils jugeront prioritaire et ce qu’il sera indispensable de réaliser à la date prévue ?
La prévision est parfois nuisible, car ce qui est projeté sera budgété et ce qui est inscrit au budget ne peut être facilement modifié au moment de l’engagement de la dépense. Si les jeunes d’un village, par exemple, ont dû le quitter au moment où devrait être dépensé l’argent pour réaliser leur périmètre maraîcher, que faire ? Souvent, le donateur exigera que le projet soit exécuté. Ensuite, il s’étonnera que l’investissement ne soit pas suffisamment utilisé.
Deuxième irrationalité : la priorité souvent donnée au seul apport d’aide dans le budget du projet.
Au moment de l’étude du projet, on considère comme un simple complément l’autre versant de la réalisation, celui des moyens propres des gens : le travail, l’épargne, le savoir des gens eux-mêmes. On le conçoit comme secondaire face à l’apport d’aide. Le volume des apports d’aide, leur rythme de livraison et leur forme (prêt, don)constituent l’ossature du projet-programme. L’outil projet ne fait qu’incorporer les efforts de ceux qui sont aidés au sein d’une action dominée par celui qui aide. On est alors loin d’aider, au sens de"joindre ses efforts à ceux de quelqu’un"(dictionnaire Larousse). La préparation du budget d’un projet, tournée vers les moyens externes, ne prend en général pas assez en compte la multitude potentielle et variée des efforts propres des gens. Or, le coeur d’une action dépend d’eux, de leur volonté de réaliser ceci ou cela. Et cette volonté mobilisera leurs moyens, mis en oeuvre selon leurs idées.
Troisième défaut : établir un projet peut stériliser la prédisposition à satisfaire immédiatement le besoin présent avec les moyens du bord. Il renvoie au lendemain (ou au surlendemain ...)la réalisation qui aurait pu être, en tout ou partie, exécutable immédiatement. Ce report est difficile à parer par une planification seulement descendante.
Trop souvent, un projet c’est un peu le : "Demain, on rasera gratis"qui décourage les efforts immédiats possibles. Quand une description de ce qui pourrait être fait et un budget sont exigés avant d’obtenir - peut-être - un appui, l’énergie du groupe est paralysée. Elle devient une attente, un rêve démobilisant : "L’aide va bientôt résoudre notre problème". Dire : "Exprimez vos désirs, chiffrez-les, je verrai ce que je peux faire", c’est risquer de briser le ressort qui pousserait les gens à résoudre leur problème en comptant d’abord sur leurs propres moyens, avec leurs outils et leurs savoir-faire. En conséquence, l’instrument projet est peu adapté à l’une des fonctions du système d’aide qui devrait être essentielle: mobiliser d’autres moyens que les ressources extérieures.
Quatrièmement, il est difficile, dans le cadre d’un projet ou programme, d’appuyer des activités nouvelles : on ne peut les prévoir avec une estimation correspondante des coûts ; et si elles ne sont pas prévues, elles ne seront pas financées.
UE ACP cooperation, international policy, cooperation, countrymen’s organization, development financing, popular participation, development project
, Acp Countries
Mettre la coopération européenne au service des acteurs et des processus de développement
Mettre en évidence les irrationalités de la méthode-projet ne veut pas dire que la préparation de l’action soit inutile. Ce qui est prévisible, comme les coûts de fonctionnement ou les dépenses de formation et de conseil, doit être prévu et étroitement budgété.
Mais tout ce qui n’est pas prévisible avec une chance raisonnable de se réaliser, c’est à dire ce qui dépend du climat du travail, de l’épargne et de l’initiative des villageois, l’essentiel en fait, devrait n’être décidé, par négociation avec les intéressés, qu’au moment même d’agir, c’est-à-dire au moment où les ressources locales sont rassemblées.
Traduit en anglais (voir titre correspondant)
[Fiche produite dans le cadre du débat public "Acteurs et processus de la coopération", appelé à nourrir la prochaine Convention de Lomé (relations Union Européenne/Pays ACP). Lancé à l’initiative de la Commission Coopération et Développement du Parlement Européen et soutenu par la Commission Européenne, ce débat est animé par la FPH.]
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