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dialogues, proposals, stories for global citizenship

Le groupe Danone à la conquête de l’Est

Elisabeth BOURGUINAT

10 / 1998

Le marché de l’Europe centrale et orientale s’est ouvert à la fin des années 80. Lionel Zinsou, ancien directeur général de l’une des branches de Danone, raconte la réussite exemplaire de cette entreprise agro-alimentaire, dont le chiffre d’affaires actuel est de 3, 5 milliards de Francs dans cette région.

Parmi les raisons de son succès, on trouve d’abord le fait que les produits alimentaires comptent parmi ceux qui s’écoulent le plus facilement, même dans le cadre d’une contraction forte du PIB, et ne nécessitent que des structures industrielles relativement légères.

D’autre part, Danone a su saisir les opportunités au bon moment, qu’il s’agisse de profiter des visites ministérielles françaises dans ces pays, ou de prendre position avant que le " gros des troupes " n’arrive. Avant même la mise en place du Treuhand Anstalt, institution chargée de superviser la privatisation des entreprises en RDA, Danone avait commencé à travailler avec une laiterie allemande, et a pu, à ce titre, racheter l’entreprise pour un franc symbolique ; quelques mois plus tard, le rachat aurait coûté des millions de marks. Danone a également profité du fait que la tradition comptable des pays du COMECON ne reconnaît de valeur qu’aux biens tangibles (machines, équipements), et non, par exemple, aux marques ; des marques anciennes, qui n’existaient plus depuis cinquante ans, ont ainsi pu être rachetées pour presque rien, alors que les clients se sont jetés dessus avec passion, de préférence à d’autres marques occidentales.

Danone a également bénéficié du fait qu’il constitue, dans sa branche, une sorte de modèle social, et qu’il est l’un des seuls groupes français à avoir un dialogue au niveau européen avec les syndicats au sein de l’Union Internationale des Travailleurs de l’Agro-alimentaire - sans parler des repreneurs américains, qui ne proposaient strictement rien en termes d’engagements sociaux. Profitant de l’expérience malheureuse de Renault, qui avait rencontré d’importantes difficultés à la suite d’une visite organisée par la CGT dans les usines de Skoda pour expliquer aux ouvriers combien le modèle social de Renault était régressif, Danone a constamment associé à ses projets les partenaires sociaux des usines qu’il voulait reprendre et a invité les directeurs d’établissements et les syndicalistes à visiter ses usines d’EUROPE OCCIDENTALE.

Par la suite, Danone a effectivement appliqué une politique sociale qui a permis d’éviter les conflits : maintien de certains droits acquis (y compris des appartements, des coiffeurs, des colonies de vacances, des hôpitaux privés), maintien de certains systèmes de prestations à l’intérieur de l’entreprise, comme les magasins d’entreprise, et distribution gratuite d’actions aux salariés (qui ont ensuite toutes été récupérées via le marché financier).

Même lors des plans sociaux qui n’ont pas manqué d’être lancés, en République tchèque par exemple, les salariés ont été très intéressés par les compensations financières qui leur étaient proposées, dans un contexte où il leur était facile de retrouver du travail.

Danone a également su profiter de certains dysfonctionnements locaux. Chez Cokoladovny, l’une des plus grosses entreprises rachetées, les directeurs commerciaux étaient en fait des directeurs de l’ " écoulement " : chaque mois, une facture était envoyée à chacun des grossistes, mais ne correspondait pas forcément à la commande que celui-ci avait passée ; il était habituel de remplacer ce qui avait été demandé par ce qui était disponible, sans que personne se plaigne. Danone a pu tirer partie, pendant un certain temps, de ce que L. Zinsou appelle une " situation de rêve ".

Enfin, Danone a su corriger certaines pratiques antérieures, et par exemple mettre en place une chaîne du froid pour les produits laitiers, dont les conditionnements étaient catastrophiques : les yoghourts devaient être consommés dans les trois jours et le lait frais tournait très vite si on ne le faisait pas bouillir dès l’achat, d’autant que les livraisons étaient faites dans des camions généralement non bâchés, même pendant l’été, qui est souvent chaud. Ces dysfonctionnements ont été relativement faciles à corriger, et Danone a pu prendre une bonne avance dans le domaine des produits frais, ses concurrents n’ayant pas osé croire qu’il serait si facile de mettre en place la chaîne du froid dans des pays aussi désorganisés.

Selon L. Zinsou, la différence par rapport aux concurrents s’est également faite sur le respect que Danone a montré pour ses partenaires, que ce soit en maintenant de nombreux cadres à leurs postes, en conservant certaines pratiques antérieures, même si elles paraissaient obsolètes, ou en imposant aux expatriés d’apprendre la langue et de se familiariser avec la sensibilité du pays.

Key words

company, state owned company, privatization, business management, investment, trade union, industrial production


, France, Eastern Europe, Czech Republic, Europe Centrale

Comments

En lisant la conclusion de l’exposé de L. Zinsou, dans laquelle il se félicite que Danone et quelques autres groupes aient su saisir la " chance historique et inespérée " que leur avaient offerte " ces économies prêtes à être conquises, comme si un continent enseveli reparaissait ", j’avais le sentiment de lire les mémoires d’un de ces conquistadores qui ont triomphé si facilement des Indiens, ces bonnes gens qui avaient la simplicité de les accueillir comme des demi-dieux... Je dois avoir l’esprit mal tourné, car il est indiscutable qu’il existe à l’Est un immense désir de profiter enfin des produits de consommation disponibles dans nos pays ; il est également indiscutable qu’il y a des différences entre les repreneurs américains et un repreneur comme Danone, les premiers étant nettement plus " rapaces " et le second plus respectueux des acquis sociaux. Seuls les intéressés pourront faire, dans quelques années, le bilan de cette " conquête " ; mais d’ores et déjà, selon l’orateur lui-même, celle-ci est aussi vécue, quel que soit le gain en termes de produits de consommation nouveaux et de qualité, comme " l’arrivée des inégalités, du chômage, la dissolution des systèmes de protection, etc. ". Jamais contents, les colonisés !

Source

Colloquium, conference, seminar,… report

ZINSOU, Lionel, CLAES, Lucien, Ecole de Paris de Management, A la conquête de l'Est : comment le groupe Danone s'est implanté en Europe de l'Est dès l'ouverture de ces pays, Association des Amis de l in. Les Annales de l'Ecole de Paris, 1997 (France), IV

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