Comment faire évoluer le droit du travail dans un contexte de très grande instabilité et de précarité des relations d’emploi
10 / 1998
Faire des profits en vendant des produits standards est aujourd’hui une gageure, car la concurrence est féroce sur ces marchés de l’ordinaire ; les succès - qui sont généralement très éphémères - se construisent désormais sur l’innovation et le mouvement. C’est pourquoi les entreprises sont contraintes de redéfinir continuellement les produits ou les services qu’elles proposent, ce qui se répercute sur les relations d’emploi.
Selon Jean-Daniel Reynaud, professeur honoraire au Conservatoire National des Arts et Métiers, les entreprises n’achètent plus de la force de travail (c’est-à-dire des capacités, définies notamment par des diplômes, et un lien de subordination), mais des compétences telles que zèle, aptitude à l’apprentissage, sens de l’initiative, voire de l’innovation, qualités qui étaient autrefois l’apanage de l’entrepreneur. A chaque " changement de métier " que subit l’entreprise, la carte des compétences requises change, et l’entreprise cherche à se défaire de certains de ses salariés. Ceux-ci conservent le gain des compétences qu’ils ont pu développer ou même acquérir pendant leur séjour dans l’entreprise, mais leur statut est marqué par une grande incertitude, et ces compétences ne sont pas nécessairement transposables dans une autre entreprise. Par ailleurs, les contrats de travail, beaucoup plus personnalisés qu’autrefois, comprennent des clauses de mobilité, d’intéressement au résultat, de rémunération, etc. qui peuvent permettre des parcours individuels plus brillants que dans le salariat classique ; mais cette évolution a pour revers la dissymétrie de la relation entre un employeur tout-puissant et un employé isolé, lorsqu’aucun collectif intermédiaire n’existe.
Or avec le développement de l’externalisation et le recours massif à l’intérim et à la sous-traitance, coexistent, au sein ou autour de l’entreprise, des personnes qui ont des statuts très différenciés et peuvent difficilement s’unir face à leur employeur.
Selon Marie-Laure Morin, chercheuse au Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche sur les Ressources Humaines et l’Emploi (Toulouse), aucun marché ne peut cependant fonctionner sans règles, le marché du travail pas plus qu’un autre ; il faut donc chercher un nouvel équilibre entre la dimension contractuelle et les règles fixées par la collectivité. Mais comment faire évoluer les règles actuelles, conçues à une époque de grande stabilité dans les relations d’emploi ? quelles collectivités sont à même de les redéfinir puis de les faire respecter ?
Des tentatives d’harmonisation de la relation d’emploi dans le cadre de l’externalisation croissante ont été lancées ; une récente directive européenne prévoit que quand une entreprise de l’Union effectue une prestation de service pour une entreprise d’un autre pays, les personnes qui exécutent la prestation doivent avoir les mêmes conditions de travail et de salaire que les salariés de l’entreprise d’accueil, même dans les cas de formes atypiques d’emploi (CDD, temps partiel, intérim). Des dispositions semblables pourraient être prises dans le cas de la sous-traitance, comme c’est déjà le cas dans les marchés de travaux publics : on pourrait inclure dans tous les contrats de sous-traitance des clauses qui définiraient les responsabilités respectives et les avantages sociaux minimaux.
Un autre aspect du problème est que les employeurs offrent de moins en moins d’emplois précis, et sont plutôt à la recherche de " compétences " ; mais ce sont eux-mêmes qui définissent, à tout moment, les compétences dont ils ont besoin. Un contrat qui prendrait pour objet la compétence n’offrirait donc aucune garantie au salarié ; la compétence ne peut donc se substituer à l’emploi comme objet du contrat. C’est pourquoi certains accords d’entreprise prévoient des bilans de compétences, à travers des entretiens individuels avec la hiérarchie qui prennent la forme de quasi-négociations contractuelles et débouchent fréquemment sur des actions de formation.
Dans ce type de négociations, le rôle des organisations syndicales est très problématique : beaucoup refusent d’endosser la responsabilité d’accords qui tendent à garantir l’avenir de certains tandis que pour d’autres les mouvements d’exclusion s’accélèrent. Il n’est pas rare que des mouvements se forment en dehors des organisations syndicales officielles ou que les employeurs créent, en accord avec les syndicats, des groupes de travail pour avoir des interlocuteurs.
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On aurait spontanément tendance à penser qu’un tel déséquilibre dans les relations d’emploi doit nécessairement être compensé quelque part : les entreprises ne risquent-elles pas de payer leur " ingratitude " par le fait que les salariés, progressivement découragés par le manque de perspective, renoncent à prendre des initiatives et à faire du zèle ? D’un côté le cynisme des employeurs, de l’autre le " principe de Dilbert " qui consiste, pour le salarié, à profiter de sa situation, aussi longtemps qu’il la conserve, en épargnant sa peine autant que possible. Dans un tel marché de dupes devrait renaître tôt ou tard le sentiment qu’il est nécessaire de restaurer la confiance. Mais pour l’instant l’externalisation permet de ne pas se poser ce type de question : beaucoup de donneurs d’ordre imposent à leurs sous-traitants la qualité de prestation qu’ils ne peuvent plus s’offrir en interne, en allant jusqu’à leur imposer contractuellement la stabilité de leurs personnels ! Du reste - et ce n’est pas le moindre paradoxe de la situation - les relations d’emploi sont généralement beaucoup plus stables dans les petites entreprises que dans les grosses. Le problème des PME est plutôt que la relation directe entre salariés et employeurs rend difficile la mise en place de médiations collectives. Au total, dans les petites entreprises, la médiation est inexistante ; dans les grandes, elle est impuissante, quand elle ne se retourne pas contre une partie des salariés !
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REYNAUD, Jean Daniel, MORIN, Marie Laure, BERRY, Michel, Ecole de Paris de Management, L'entreprise dans la tourmente : que fait-elle de ses salariés ? , Association des Amis de l in. Les Annales de l'Ecole de Paris, 1997 (France), III
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