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Grandeur et déclin d’IBM

Elisabeth BOURGUINAT

09 / 1998

Pendant trente ans, des années 50 aux années 80, IBM a réalisé un bénéfice net annuel compris entre 10 et 15

, et maintenu un taux de croissance de 10 à 20

, performance remarquable quand on connaît les difficultés pour concilier forte croissance et bénéfices. Dans les années 80, la situation se dégrade : le bénéfice et la croissance ne se situent plus qu’entre 5 et 10

; à partir des années 90, c’est l’effondrement, la croissance est négative et les bénéfices se transforment en pertes.

Pour analyser les raisons de ce brusque déclin, Jean-Jacques Duby revient sur les caractéristiques de la culture IBM, en montrant comment des stratégies et des comportements qui avaient longtemps fait leurs preuves se sont révélés inadaptés du fait de l’évolution du contexte technique et du marché.

Certaines options techniques se sont avérées mauvaises : IBM a par exemple misé sur le contrôle centralisé (un gros ordinateur contrôle tout un réseau), alors que les prémisses du système qui devait aboutir à Internet, c’est-à-dire à un réseau fonctionnant sans aucune centralisation, sont apparues dès le début des années 70.

Un autre principe retenu par IBM était celui de la compatibilité par les machines et non par les logiciels : au fur et à mesure que les machines se perfectionnaient, il fallait ajouter des instructions, sans en enlever, afin que tous les matériels restent compatibles. Certains ingénieurs d’IBM ont alors proposé de mettre en place un nouveau type d’architecture, appelé RISC, qui consistait à retenir seulement les instructions principales, et à introduire les autres sous forme de sous-programme ; mais le catalogue d’architectures était déjà tellement important que cette solution a été rejetée... pour ne pas créer une architecture supplémentaire. IBM ne l’adopta que lorsque la concurrence l’eut largement développée.

Sur le plan de la gestion, IBM avait créé une immense et très efficace banque de données, recensant tous les produits et récapitulant l’histoire de leur conception, les prévisions de coût et de performances, puis les ventes, les prix effectivement pratiqués à travers le monde, l’état du stock mondial, les pannes et les problèmes survenus, etc. La monstrueuse diversification des produits a fini par aboutir à l’asphyxie de ce système. Des " independant business units " furent alors créées pour la fabrication et la gestion de certains produits - mais des problèmes de compatibilité apparurent alors, ainsi qu’une certaine incompréhension de la part des clients, qui voyaient défiler successivement plusieurs vendeurs se réclamant tous d’IBM.

Mais au-delà de ces problèmes techniques (je n’en cite que quelques-uns), c’est surtout le système de management, très original, qui a fini par trouver ses limites.

Il s’agissait d’un management par objectifs " contradictoires ", qui fonctionnait grâce à la mise en ouvre et au traitement des conflits qu’il faisait naître : en donnant des consignes contradictoires, par exemple, aux acheteurs, aux fabricants et aux vendeurs, on leur laissait le soin de converger, à travers des conflits très formalisés, vers la solution optimale.

Les conflits, signalés par les acteurs eux-mêmes, étaient répertoriés sur des bases de données, et leur évolution était surveillée. Ils étaient gradués en gravité : les moins graves étaient les " concerns " ; ensuite venaient les " issues ", puis les " non concurrence ", qui demandaient des arbitrages en haut lieu. Un " concern " non résolu au bout de deux mois devenait automatiquement un " issue ", et un " issue " un " non concurrence ". Quelqu’un qui se trouvait trop souvent et trop longtemps en situation de " non concurrence " voyait sa carrière compromise.

Mais, selon J. - J. Duby, ce système se prêtait à de nombreux marchandages et donnait naissance à des groupes de pouvoir qui finissaient par le scléroser et l’empêcher de jouer son rôle.

Par ailleurs, dans un louable souci d’égalité, la gestion des ressources humaines était harmonisée dans le monde entier : les descriptions de postes étaient les mêmes partout, ainsi que les plans de rémunération (même si leur niveau variait selon les pays), les règles de promotion, les manuels de procédures ; tout le monde parlait américain ou quelque chose qui s’en approchait. Dans cet univers harmonieux, l’unanimité était la règle : il arrivait qu’une solution technique réputée mauvaise devienne bonne du jour au lendemain, et aussitôt, selon J. - J. Duby, tout le monde affirmait en chour le contraire de ce qui se disait auparavant. L’inconvénient du système, qui s’est révélé longtemps très efficace, est qu’il réduit la variance des personnalités et qu’il supporte mal les déviants : or si la force instantanée d’une collectivité est sa moyenne, sa force à long terme est sa variance ; elle lui permet d’évoluer et de s’adapter à des contextes non prévus.

Key words

company, business management, computer science


, United states,

Comments

Les entreprises sont-elles mortelles comme les civilisations ? Leur survie dépend-elle du hasard de certaines options prises ou non à un moment donné ? Leur " minéralisation " progressive, conduisant ensuite à un effondrement, est-elle évitable ? Lors du débat, J. - J. Duby souligne qu’il est difficile de se remettre en cause lorsque votre stratégie vous rapporte 15

de bénéfice après impôt et 20

de croissance. L’histoire des réformes entreprises chez OTIS-France (voir la fiche DPH " La mutation de la société OTIS-France : gérer une crise avant qu’elle n’éclate et organiser le changement alors que tout va bien ")montre cependant qu’il est possible de s’inquiéter et de prendre des mesures longtemps avant la catastrophe. Mais peut-être y a-t-il un effet de seuil reposant sur la taille de l’entreprise : on peut reconstruire une taupinière, pas une montagne ? L’empire romain aussi s’est effondré sous son propre poids...

Notes

Jean-Jacques Duby est l’ancien Group Director Science and Technology d’IBM Europe.

Source

Colloquium, conference, seminar,… report

DUBY, Jean Jacques, BERRY, Michel, Ecole de Paris de Management, Grandeur et déclin d'IBM, Association des Amis de l in. Les Annales de l'Ecole de Paris, 1996 (France), II

Ecole de Paris de Management - 94, Boulevard du Montparnasse 75014 Paris, FRANCE - Tél. 33 (0)1 42 79 40 80 - Fax 33 (0)1 43 21 56 84 - France - ecole.org/ - ecopar (@) paris.ensmp.fr

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