En Afrique du Sud, en Namibie et au Zimbabwe, la récente arrivée au pouvoir de la majorité noire, résultat d’un compromis historique, pose la difficile question de la réforme agraire. Traitée de manière symbolique (du moins en Namibie et au Zimbabwe), cette question a reçu une réponse symbolique : les expropriations devant faire l’objet d’indemnisations, la structure dualiste du secteur agricole est maintenue dans un statu quo. En Afrique du Sud, la crise rurale a suscité un consensus pour appliquer une véritable réforme agraire.
En Rhodésie, plus de la moitié de la population active travaille dans l’agriculture et presque la moitié des terres sont en possession de 4.500 " grandes fermes blanches ". Les fermiers blancs, favorisés par une législation qui ne limitait d’abord la redistribution foncière qu’aux cessions volontaires, puis imposait une indemnisation, ont toutefois su se situer du bon côté et ont fait preuve d’un grand dynamisme économique, développant les productions d’exportations dès la levée de l’embargo. Parallèlement, les formes permanentes de tenure (du salariat au fermage)ont fait place au salariat temporaire de migrants et de femmes.
L’absence de ressources de l’Etat pour indemniser les fermers expropriés (70 fermes comptant 190.000 hectares sur les 5 millions d’hectares prévus !)et pour mener une politique de développement qui accompagne la redistribution foncière rend cette dernière plutôt hypothétique. Les fermiers blancs produisent toujours les deux tiers de la production agricole commercialisée. L’" accelerated ressettlement programme ", en entérinant les occupations de terres sans fournir d’appui au développement d’infrastructures ni d’assistance technique aux nouveaux occupants, n’a obtenu qu’un succès mitigé. En effet, la faible motivation et l’absence de qualification des bénéficiaires ne faisaient que s’ajouter à un certain nombre de carences dans le soutien et l’encadrement.
La question centrale demeure celle du rôle des zones communales dans l’avenir. Les terres communales abritent une catégorie rurale majoritaire. Leur rôle est complexe car elles occupent à la fois certains paysans à temps plein, elles peuvent même dégager des excédents commercialisés, mais elles constituent pour l’essentiel la base de la sécurité alimentaire d’une masse rurale dont les revenus diversifiés proviennent majoritairement de la ville.
En Afrique du Sud, la situation est plus extrême encore : 70.000 fermiers blancs se sont approprié 80
des terres. Les anciennes réserves, devenues " homelands ", c’est leur non viabilité qui constitue leur raison d’être : elles ont une fonction de réservoir de main-d’oeuvre. Les bantoustans, quant à eux, ont été affectés (officiellement à 80
)par les " plans d’amélioration " mis en place dans les années soixante. Ces plans devaient être appliqués dans les zones où les parcelles économiquement viables seraient allouées par les chefs coutumiers à des fermiers qualifiés. Dans la pratique, les conditions de fonctionnement de la chefferie et la pression démographique entraînée par les évictions massives ont souvent fait de ces espaces des bidonvilles, même si quelques bantoustans ont pu avoir une petite production marchande.
Divers travaux académiques, inspirés des courants néo-marxistes, ont porté sur la condition rurale et les formes de résistance populaire à la destruction de la paysannerie africaine. Ils proposent des approches et des solutions différentes à la question agraire. Une première position défend l’idée d’une généralisation progressive de la propriété individuelle, une seconde l’idée d’une " rente communale " qui empêcherait une concentration foncière et une troisième se penche sur une tenure indigène, basée sur un contrôle collectif qu’il faudrait démocratiser.
Les partis politiques n’ont pas manqué non plus de participer au débat sur la réforme agraire, dont il est sorti un consensus. Le Parti National tend à préserver les avantages de la minorité blanche en transférant le secteur public au secteur privé et en signant les accords du GATT. La redistribution devrait se faire " dans le cadre strict du marché en excluant toute forme d’expropriation ". Le Pan-Africanist Congress affirme que la terre a été volée aux populations africaines et doit leur être restituée. Le National Land Commitee émane d’un courant radical contre les déplacements forcés et réfléchit à la question agraire. Une " Charte de la terre " exprime le point de vue radical en insistant sur " le droit à la terre des communautés indigènes ".
La Banque mondiale a elle aussi participé au débat sur la réforme agraire, avec des positions intéressantes : il n’y a pas d’économie d’échelle significative en agriculture et le morcellement des grands domaines est économiquement viable ; les lots doivent être administrés de manière flexible et attribués aux familles en fonction de leur savoir-faire, de leur taille et de leur capital disponible ; enfin, la réforme doit se situer dans une économie de marché.
Finalement, l’ANC prend le pouvoir sans avoir de véritable position sur cette question, ce qui s’explique quand on sait que ce parti représente des intérêts urbains. Le parti au pouvoir se place clairement dans une perspective libérale, en accord avec le GATT. Un ensemble de mesures semble favoriser l’émergence d’une petite agriculture commerciale, sans dénouer pour autant la question de la redistribution foncière.
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Ce texte a le mérite de montrer que renverser une situation installée depuis la colonisation européenne n’est pas sans poser des problèmes qui ne sont malheureusement pas qu’idéologiques. La question reste posée de savoir comment susciter la formation d’une véritable paysannerie là où il y avait des travailleurs agricoles soumis aux règles des fermiers blancs ou simplement des réserves de main-d’oeuvre.
Notons aussi que le texte porte surtout sur l’Afrique du Sud. Ce cas montre bien la confusion générée par des positions qui manifestent clairement la nature des forces au pouvoir.
Colloque "Agriculture paysanne et question alimentaire". Chantilly, 20-23 février 1996.
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