1996
En l’espace de 30 ans, les régions irriguées "traditionnelles" ont connu des évolutions très différentes comme l’abandon de l’agriculture et le départ massif vers de nouveaux bassins d’emploi urbains ou agricoles, ou, à l’opposé, la constitution de systèmes de production très intensifs permettant à la population agricole de se maintenir à la campagne, même sous des densités voisines de 500 habitants au km2 agricole. Cependant, tous les systèmes agraires concernés par des infrastructures irriguées anciennes souffrent de dysfonctionnements parmi lesquels la répartition entre périmètres et la distribution au sein de chaque périmètre. Avec les formes sociales de maintenance des réseaux, l’ensemble de ces conditions d’accès à l’eau expliquent en partie les réussites ou les vicissitudes de l’agriculture paysanne andine et ses capacités à produire les bases alimentaires du pays.
Le réseau hydrographique de type torrentiel structure l’espace andin en entités géographiques aux accès souvent difficiles. Les déficits hydriques permanents ou ayant de fortes probabilités d’apparition on amené la création de réseaux d’irrigation qui concernent l’ensemble des trois étages bio-climatiques: étages subtropicaux 1600-2400 mètres d’altitude,étage tempéré 2400-3000m, étage froid 3000-6000m. On évalue la superficie agricole sous infrastructure irriguée à environ 400.OOO ha dont plus des 3/4 dépendent de réseaux anciens. La population agricole qui représente encore plus de 50
de la population totale des Andes, n’occupe pas de manière homogène l’espace agraire. Ramenée au km2 agricole, la densité varie d’une valeur presque nulle à une valeur proche du demi-millier d’habitants au km2.
La configuration actuelle des aménagements, la datation de la construction des réseaux, la résolution des conflits de propriété et de droits d’usage au cours des siècles, montrent que l’eau d’irrigation est un enjeu fondamental entre les groupes sociaux qui contrôlent le territoire à irriguer comme le territoire fournissant la ressource, les hauts bassins versants bien arrosés par les pluies. Ainsi, dans la région d’Urcuqui à l’Ouest d’Ibarra, le conflit avec le gamonalisme pour récupérer les droits sur le canal du village a abouti en 1944 à la restitution officielle de tout le débit pour Urcuqui, tout en maintenant les privilège des caciques, le tour d’eau s’arrêtant deux jours tous les 14 jours à leur profit. Par la suite, des inscriptions supplémentaires expliquent la lente dérive du système de distribution et de très fortes inégalités d’accès à l’eau. Dans la région de Pifo dans la province de Pichincha, on assiste à l’urbanisation à la suite de spéculations foncières péri-urbaines. L’histoire des conditions d’accès à l’eau explique en grande partie l’impossible création d’une ceinture maraîchère paysanne autour de la capitale de l’Equateur. Depuis 1990, une évolution spéculative est observable chez les grands propriétaires qui ont adopté les systèmes de production de fleurs sous serre éclairés toute la nuit en vue d’exporter par avion la production vers les Etats Unis, le Japon et l’Europe. La production maraîchère pour le marché national et local est toujours absente. Dans la région de Santa Rosa de Pilahuin, dans la province du Tungurahua, on perçoit le potentiel d’évolution de l’agriculture andine irriguée. La province a évolué très rapidement vers une agriculture commerciale et paysanne. A la fin du XX siècle, les grands propriétaires ont renoncé à leurs haciendas, le capital foncier fût transféré sur les activités commerciales très actives en particulier pour alimenter les populations en migration vers la plaine côtière (expansion du cacao au pied des Andes). La terre et l’eau ont été partagés au fur et à mesure des ventes et des successions: en 1985 le nombre d’usagers du Canal Casimiro Pazmino était de 5, en 1988 ils sont 1200. Cette atomisation rend toujours plus complexe la gestion de canaux parfois long de dizaines de kilomètres, desservant de nombreuses communautés ayant derrière elles des relations conflictuelles. Dans la région de Guamote, les paysans ont souhaité se partager les terres communales. La fin des petits réseaux d’irrigation entraînerait une crise d’épargne (en animaux nourris dans des prairies naturelles arrosées de manière approximative)et le risque d’une désertification humaine totale des régions centrales des Andes équatoriennes. Dans la région de Ludo-Gima en Azuay, on assiste à la dégradation des prairies par surcharges animales et accélération du rythme d’utilisation. Il existe à la fois un manque d’eau et une gestion inadéquate des ressources fourragères.
L’inéquité de la répartition des ressources a diverses origines:
-la construction d’une grande partie des réseaux a été décidée, jusqu’au début du XX siècle par les grands propriétaires fonciers en mobilisant la main d’oeuvre paysanne à peu de frais, les excluant de fait des discussions possibles sur les accès à l’eau des territoires aménagés;
-la restructuration foncière des années 1950-1980 a maintenu la grande propriété foncière sur les terres basses irrigués, rejetant les paysans sur les pentes difficiles à cultiver;
-la nationalisations des eaux par l’Etat depuis 1972 devait résoudre des nombreux conflits. Le système des concessions pour dix ans aux usagers devait faire régner une certaine équité dans les dotations.
Les variables du tour d’eau prennent toutes les valeurs possibles selon les sites: présence ou absence de tour d’eau organisé, modules de distribution allant de 1 l/sec. à 50 l/sec., temps d’irrigation à l’ha de 2 à 48h, fréquence de 3 à 30 jours, répartition par horaires fixes ou variables, etc. Là encore, l’élément historique est fondamental. Le tour d’eau est l’héritage complexifié du choix des générations précédentes d’usagers, basé sur les nécessités de l’époque de sa conception et sur des règles sociales en vigueurs. Or, les conditions de l’environnement socio-économique et probablement celles du climat ont évolué, de même que les systèmes de production agricole. Dans certains cas, le tour d’eau se révèle aujourd’hui inadapté. Parfois, il a été modifié pour répondre aux besoins exprimés par un groupe de paysans capables de faire accepter les modifications par l’ensemble des usagers.
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, Ecuador
L’auteur constate le regain d’intérêt pour la question de l’irrigation de la part des ONG, des professionnels et bien évidemment des organisations paysannes. A propos du projet de loi sur l’eau en cours, ils ne regrettent pas la disparition de l’INERHI (organisme d’Etat chargé de l’eau)du fait de son inefficacité chronique; cependant, ils critiquent le désengagement total de l’Etat qui devrait conserver la domanialité publique de l’eau. A propos de la microparcélisation des terres et des droits d’eau, de la difficulté des juntes de l’eau pour gérer les tours d’eau compte tenu que le nombre de parcelles unitaires double tous les quinze ans (le tour d’eau se fait sous contrôle d’un chronomètre à la demi-minute près), l’auteur s’interroge: dans de telles conditions, qu’adviendra-t’il de ces systèmes en l’an 2000?
Colloque "Agriculture Paysanne et Question Alimentaire", Chantilly, 20 -23 Février, 1996.
E.del Pozo est une ethnologue d’origine péruvienne qui a beaucoup travaillé sur les organisations paysannes et indigènes.
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RUF, Thierry
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