Cas de l’Algérie
1996
Loin de former un groupe homogène, la société rurale algérienne est soumise à un processus de différenciation complexe, résultat de l’impact de la colonisation, de la politique agraire de l’Algérie indépendante, des répercussions de la politique d’industrialisation et de la mise en oeuvre d’une nouvelle politique à partir des années 80.
Les systèmes de production traditionnels élaborés au fil du temps par les agriculteurs sédentaires et les nomades permettaient de tirer le meilleur parti des diversités écologiques du pays. Ils vont être ébranlés par le système colonial qui non seulement va déposséder une grande partie de la paysannerie de ses terres mais va conduire à une spécialisation régionale poussée à l’extrême. L’intégration au marché sur laquelle repose le nouveau système économique mis en place conduit à la destruction des anciens courants d’échanges et des équilibres traditionnels. L’organisation sociale traditionnelle est remise en cause par le développement d’un marché "libre". Lors des dernières décennies de la colonisation, émergent d’un côté de nouvelles catégories de producteurs "modernistes", de l’autre la paupérisation de la majorité des paysans.
A l’indépendance, les fermes coloniales sont transformées en domaines autogérés, mettant fin à l’espoir qu’avait la paysannerie de retrouver ses terres. Le secteur "socialiste", très contrôlé par l’Etat, ne bénéficiera qu’à une minorité, accentuant le déséquilibre sectoriel. La production globale régresse et la dépendance alimentaire du pays s’accroît.
Dix ans plus tard, une révolution agraire procède à une redistribution des terres dans le secteur privé, dont 10% des paysans pauvres ou sans terres bénéficient. Ces derniers sont regroupés en coopératives de production.
A la même époque, les campagnes sont touchées par les répercussions de la politique d’industrialisation massive mise en oeuvre à partir fin des années 60.
Une première conséquence est l’intégration de la paysannerie à un marché du travail externe, engendrée par la multiplication des activités et des emplois salariés extra-agricoles. En favorisant la désintégration de l’activité agricole et l’accroissement de l’exode rural, l’intégration des paysanneries au marché est à l’origine du chômage dans les campagnes. D’un autre côté, elle permet à un grand nombre de micro-exploitations d’avoir un complément de ressources indispensable au maintien de l’activité et donc à la survie des membres. Cette dépendance au marché a des formes variables. Si pour les paysans pauvres il s’agit d’une dépendance aliénante, pour d’autres, elle permet de tirer profit des opportunités d’emploi les plus avantageuses, dont les revenus peuvent être réinvestis dans les activités agricoles.
Une seconde conséquence est une soumission des petits producteurs aux conditions des entreprises prestataires de services, répercussion du développement du marché des facteurs de production. Au cours des années 70, la tendance est à une séparation croissante entre producteurs et moyens de production. La possession de gros matériel motorisé devient donc un facteur décisif de différenciation, opposant une minorité d’agriculteurs autonomes à la majorité de paysans dépendants. Ce clivage s’accroît par la mainmise des premiers sur les terres des seconds. Pour pallier cette situation, l’Etat met en place à la fin des années 70, des Groupements d’Entraide Paysanne (GEP), association librement constituée bénéficiant de facilités pour l’accès au matériel mécanisé. Après une expansion rapide de ces structures, cette formule est remise en cause par la nouvelle politique menée à partir des années 80, où la priorité est donnée à l’agriculture privée et à l’équipement individuel. Dans le cadre de la restructuration du secteur public (1981-85), les coopératives de service qui avaient été mises en place sont dissoutes. La dépendance des petits producteurs vis à vis des prestataires de services s’aggrave d’autant plus que ces derniers augmentent leurs tarifs.
Si dans le passé l’élevage pouvait permettre de compenser le manque de terres cultivables, il ne peut permettre aujourd’hui aux petits producteurs céréaliers de faire face au processus de marginalisation et de prolétarisation dont ils sont victimes. Le renforcement de la corrélation entre les inégalités dans la répartition du cheptel et la répartition de la terre fait que pour la majorité de la petite paysannerie, l’élevage n’est plus qu’une activité résiduelle soumise aux aléas naturels et au marché. Par contre, le développement du maraîchage, lié à l’acquisition individuelle de motopompes, permet à certains paysans d’opérer de profondes mutations. L’accroissement important des surfaces cultivées, rendu possible par l’utilisation de motopompes, fournit un complément monétaire à la production céréalière.
Cependant, la position précaire des petits producteurs sur le marché constitue une limite importante de cette mutation. Leur dépendance vis à vis du marché revêt des formes diverses, donnant lieu à des conséquences parfois opposées. Le bas prix des céréales dont le marché est soumis à l’Etat conduit les petits producteurs à privilégier la consommation familiale. La production pouvant être inférieure aux besoins de la consommation familiale, l’excédent céréalier des agriculteurs aisés devra donc répondre à la fois aux besoins d’une partie de la population rurale et à ceux de la population urbaine. Cependant, surtout depuis le début des années 80, un grand nombre de petits producteurs diminue volontairement la production de blé au profit des cultures fourragères vendues à des prix élevés sur le marché parallèle, du fait de la demande croissante des éleveurs. La structure du marché du bétail est dominée par une minorité de négociants privés, contraignant les petits producteurs à vendre à très bas prix. Par contre, les paysans aisés bénéficiant de relations peuvent réaliser des affaires en vendant en gros quand les cours sont favorables. Des conditions similaires sur le marché des fruits et légumes mettent les petits producteurs à la merci de collecteurs privés imposant leurs conditions.
A la politique volontariste des années 70, qui a exacerbé les tensions et les différenciations sociales, succède à partir des années 80 une nouvelle politique favorable à l’initiative privée. De nouvelles législations foncières vont bénéficier essentiellement à des catégories extérieures à la paysannerie (commerçant, fonctionnaire, ..). Les implications sociales et économiques de l’émergence de cette nouvelle paysannerie sont complexes et difficiles à prévoir. Mais dans la situation actuelle, les risques d’exacerbation des divisions et des inégalités sont à craindre. D’ores et déjà quatre grandes catégories de paysans peuvent être distinguées : les paysans autonomes, les paysans ouvriers, les paysans dépendants et les paysans paupérisés. L’avenir de la paysannerie algérienne dépendra en grande partie des fluctuations qui s’opéreront entre ces différents groupes.
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, Algeria
Colloque "Agriculture paysanne et question alimentaire", Chantilly, 20-23 février 1996.
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