Cacao en Côte d’Ivoire, café à Sumatra
03 / 1996
La viabilité de l’agriculture familiale en culture de plantation passe par l’abandon d’anciennes régions pour s’installer sur de nouvelles, la rente forêt diminuant avec l’âge de la plantation. Mais le déplacement des exploitations sur de nouvelles terres se trouve à un moment ou à autre confronté à la limite de l’espace. L’aptitude à vivre dépendra alors de l’aptitude à replanter.
La replantation est une innovation pour compenser la productivité déclinante de la terre. Conformément à la théorie de Boserup, cette innovation est en partie déclenchée par la pression démographique sur la terre. La diminution de la rente forêt n’est pas compensée par l’introduction d’un capital monétaire, mais par du travail et des innovations techniques. Une question se pose alors : cette innovation, permet-elle de récupérer la rente forêt ?
Le cycle de vie d’une plantation suit de façon schématique une courbe de Gauss, où à une première phase d’expansion succède une baisse des rendements. Dans la phase pionnière, la création de nouvelles exploitations par migrations s’inscrit dans stratégie de prélèvement et de consommation des ressources conduisant à une diminution de la rente forêt. Ainsi, à Sumatra, sous l’effet des migrations, la contrainte foncière s’accroît, alors que parallèlement la propriété de la terre se construit avec la formation d’un prix et d’une rente foncière, le propriétaire pouvant exiger une partie de la plantation. L’accès à la terre par simple défrichement de forêt se fait de plus en plus par héritage et cession de plantation, et des changements écologiques apparaissent, notamment la baisse de fertilité des sols. Face à ces différents changements, plusieurs stratégies sont mises en oeuvre par le planteur : relancement de la production par de nouveaux défrichements, renouvellement de la jachère forestière, prolongation de la vie économique de la plantation par un entretien minimum et des associations agroforestières source de revenus complémentaires, suppression de la phase de jachère forestière par la pratique de cycles courts en régénération permanente (abattage dès que le rendement fléchit, et replantation l’année suivante). Ces différentes options peuvent être combinées au sein d’une même exploitation afin de limiter les risques.
Si la replantation représente un risque d’échec et un investissement important en travail, plusieurs facteurs peuvent inciter le planteur à recourir à cette innovation. Le déclin de la rente forêt et la contrainte foncière qui l’accompagne donnent lieu à l’émergence d’une rente foncière. La replantation sur un champ où la sécurité foncière est acquise sera préférée au défrichement de nouvelles forêts où règne l’insécurité foncière. Un second facteur déterminant est l’introduction de nouveau matériel végétal. En Côte d’Ivoire comme à Sumatra, l’adoption et la diffusion d’un nouveau végétal a relevé totalement de l’agriculture familiale sans participation de service d’encadrement ou de recherche. Un troisième facteur déterminant est que le coût d’abattage, d’entretien et d’engrais est supporté par la culture annuelle. Cette association de culture permet d’obtenir un revenu élevé à l’hectare. Le prix élevé du gingembre à Sumatra a été un facteur décisif d’abattage/replantation.
Il semble que pour l’instant, si la replantation du cacao en Côte d’ivoire permet de récupérer un peu de la croissance du passé, elle ne permet pas de retrouver une productivité et une production égale à la situation pionnière. Cependant, les replantations par des systèmes agroforestiers pourraient favoriser une reconstitution partielle de la rente forêt. Certains planteurs, minoritaires, affirment avoir augmenté leur rendement en replantation. La rente forêt est alors remplacée par la rente agroforestière.
En Indonésie, où les conditions climatiques sont plus favorables qu’en Côte d’ivoire, la replantation sans autre innovation (augmentation et diversification de l’entretien, recours à des engrais)entraîne inéluctablement une baisse de rendements et de revenus sur la culture de café. Par contre, l’innovation de l’agriculture familiale par l’adoption d’un nouveau modèle végétal associé à des cultures alimentaires semblerait (sous réserve de vérification)aller dans le sens d’une remontée de la productivité de la terre et du capital plantation. Mais la précocité de ce nouveau végétal a pour corollaire l’accélération de la phase de déclin des rendements ce qui accélère le cycle plantation/replantation. Cette innovation introduit une certaine irréversibilité en supprimant l’option du prolongement de la plantation par entretien pour le cycle suivant. Si des doutes subsistent sur le renouvellement et la reconstitution des ressources naturelles, les systèmes de régénération caféière à Sumatra constituent des adaptations d’une efficacité économique remarquable. Le cas de Sumatra est un bon exemple pour la Côte d’Ivoire, où hormis l’environnement écologique, les différents ingrédients sont rassemblés pour la reproduction du "modèle".
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, Cote d’Ivoire, Indonesia, Sumatra
A travers le cas du cacao en Côte d’Ivoire et du café à Sumatra, ce texte illustre les capacités d’adaptation et d’innovation des agricultures familiales de plantation. L’auteur insiste en effet d’une part sur le fait que la plupart des progrès ont été découverts et entrepris par les planteurs et non par les services d’encadrement ou de recherche; d’autre part, qu’en économie de plantation, l’agriculture familiale a des capacités d’adaptation et de résistance supérieures à celles des entreprises capitalistes (l’histoire du café en Indonésie en est un exemple).
En outre, ce texte montre que l’innovation technique s’accompagne d’innovations sociales et institutionnelles, l’émergence de la propriété et d’une rente foncière en étant un exemple.
Colloque "Agriculture paysanne et question alimentaire", Chantilly, 20-23 février 1996.
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