Alain FORGEOT, Roland COLIN, Nicolas SILHE
10 / 1993
Suite à une recherche-action menée dans le bassin d’emploi de Cahors (département du Lot, France)entre 1987 et 1992 lors de laquelle 60 entretiens autobiographiques et 80 réponses à un questionnaire ont été recueillis, les résultats suivants ont montré la façon dont les exclus perçoivent le monde du travail et de l’entreprise.
Le chômage n’est pas un état stationnaire et stable ; c’est un processus tirant ses racines de la trajectoire antérieure : il faut donc prendre en compte les "parcours de vie".
L’aspiration dominante exprimée est celle de "se suffire à soi-même, maîtriser sa propre vie", ce qui ne peut se réaliser sans insertion dans le monde du travail. Cette insertion est perçue également comme une condition nécessaire de la reconnaissance sociale. L’argent a une place ambiguë : diminuer ses besoins permet de gagner en liberté, mais au-dessous d’un certain seuil, c’est la fin de la liberté.
Parmi les exclus, il y a un phénomène de génération : les hommes de plus de 35 ans ont été désemparés par l’entrée dans une période de crise où l’insertion économique n’allait plus de soi ; les plus jeunes, confinés souvent dans l’univers des petits boulots sans suite, accordent une place plus grande aux préoccupations de la vie personnelle. Pour les femmes, s’ajoute l’incidence très lourde des facteurs de dépendance familiale : grossesses, charge des enfants, responsabilité du ménage, etc.
Face au chômage, un certain nombre d’exclus, et notamment parmi les "actifs", a l’idée de fonder sa propre entreprise ; la plupart des tentatives ont connu l’échec. Des "actions d’autoproduction" ont également été tentées, avec plus de succès.
Ce tableau suggère les points suivants :
- A la différence des politiques habituelles de traitement économique du chômage, il s’agit de prendre en compte la notion de "trajectoire professionnelle sur longue course" en mesurant le côté déstabilisateur des contrats courts à durée déterminée ; la flexibilité gagnée pour l’employeur a un passif très lourd en contrepartie pour l’employé dans la plupart des cas.
- La difficulté d’insertion professionnelle initiale pour les jeunes exige des conditions hors normes pendant un temps limité, cela supposant un véritable tutorat que tous les employeurs ne peuvent exercer. Là encore, l’utilité de "structures de médiation" permettant une communication claire et informée et la recherche d’ajustements réciproques entre jeunes s’engageant dans un premier emploi et employeurs est au coeur du problème.
- L’importance de l’autoproduction montre une voie pour soutenir la création d’entreprises communautaires (articulation et division du travail entre un groupe d’unités d’autoproduction visant à répondre en priorité aux besoins de la communauté à laquelle ils appartiennent). Cela nécessite des filières d’appui et un lien avec le développement local.
- L’économie informelle appelle probablement une approche souple qui pourrait être liée à l’autoproduction et déboucher sur de telles entreprises communautaires.
- Les entreprises "alternatives" qui recherchent la production de biens et services par des voies non conventionnelles pourraient être prises en considération dans une approche comparable. Elles procèdent souvent de l’"informel" et de l’"autoproduction" évoquée ci-dessus.
- Pour favoriser cette émergence de mini-entreprises de base, le schéma et les outils actuels des PME (Petites et moyennes entreprises)ne semblent ni suffisants ni adaptés. Il serait nécessaire de soutenir les expériences tendant à mobiliser les ressources financières et techniques d’une manière novatrice : "banques de proximité" insérées dans l’environnement direct des utilisateurs et ayant avec eux des intérêts communs, "centres de moyens partagés" leur permettant d’utiliser en commun des outils techniques de production ou de gestion, etc. L’apport des acquis de l’économie sociale est peut-être l’un des éléments déterminants.
social exclusion, employment, company, informal sector, social insertion, sociology, urban environment, research, excluded person
, France, Bassin d’emploi de Cahors
Deux documents ont été utilisés pour réaliser cette fiche : 1. Exclusion sociale et chômage de longue durée : la parole des acteurs. Rapport et enseignements d’une recherche-action menée dans le bassin d’emploi de Cahors (1987-1992), Cahors, juin 1993, 389 p. (en particulier p. 59-73).- 2. Document de synthèse du rapport de la recherche-action [...], septembre 1993, 9 p. (en particulier p. 7-8).
Report
COLIN, Roland; ATCHIKGUEZIAN, Arève, 1993
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