L’ère de l’expansion industrielle a vu croître ces villes champignon, entrelacs de fabriques et d’immeubles d’habitation, qu’un urbanisme dit "de rapport" a vite transformé en inextricable fouillis. Ancienne capitale de la laine, Roubaix s’est essentiellement bâtie sur des mouvements de population. Convergence de paysans de la région au cours du XIXè siècle, suivie de l’implantation de familles d’ouvriers Belges, puis d’Italiens et de Portugais après-guerre, et enfin de Nord-Africains, des Hommes ont longtemps apporté leurs bras aux industries roubaisiennes. Mais le tissu économique s’est anémié et l’agglomération de Roubaix s’est trouvé confrontée à un double héritage: la paupérisation et le chômage qui frappe une population marginalisée et sous-qualifiée d’une part, et d’autre part un urbanisme chaotique altéré par la friche industrielle, la vétusté et l’insalubrité. A la fin des années soixante, la municipalité projette de condamner les anciennes voiries et opte pour la construction verticale en formule collective. Mais c’était sans compter avec la population qui se mobilise au quartier de l’Alma-Gare. Naît alors une dynamique exceptionnelle, ouvre d’épouses et de mères, emmenées par Marie-Agnès Leman. Leur action contre le projet municipal aboutira en 1974 à la constitution de l’Atelier Populaire d’Urbanisme (APU)qui rassemble l’ensemble de la population de l’Alma-Gare contre "la rénovation bulldozer, l’urbanisme déportation et l’architecture cage-à-lapins." L’arrivée de techniciens, équipe d’urbanistes, d’architectes et de sociologues, marque la transformation de l’APU de comité de lutte en véritable atelier d’urbanisme qui expérimente alors la maîtrise d’ouvrage collective. En 1977, un projet est soumis à la municipalité et s’engage une partie de bras de fer qui durera sept mois mais à l’issue desquels les parties s’entendront autour d’un schéma directeur. Le puissant mélange d’utopie et de vie quotidienne qui anima l’atelier a fasciné foule d’observateurs et débouchera sur la maîtrise d’ouvrage collective de la rénovation du quartier de l’Alma-Gare.
Non contents d’avoir conçu un beau quartier, les habitants de l’Alma orientent alors leur action vers une approche alternative du logement. Acquis le droit d’occuper l’habitat, encore faut-il prétendre au droit d’y vivre heureux. C’est à ce moment que les maîtres d’ouvre associés à l’Alma mettent au point la "régie technique", idée qui sera reprise aux quatre coins de France et engendrera même un réseau de plus d’une centaine de régies de quartier, recensées et labellisées en 1995. En l’occurrence, il s’agit de gérer tous les objets et espaces qui modèlent la vie des habitants en leur permettant d’y apporter leur parole et d’y graver leur empreinte. La régie technique aura donc pour fonction d’assurer toutes les tâches de gestion, de programmation ou d’étude, de formation ou de conseil que la population, mais encore les administrations, associations et entreprises voudront bien lui confier. Plusieurs entreprises de proximité et d’utilité sociale se créeront alors, et l’espoir est ainsi permis, au quartier de l’Alma, de créer des activités rémunératrices, de travailler autrement et surtout de réserver des emplois aux habitants du quartier. Fin 1976, déjà presque 10% de chômeurs à l’Alma, les esprits s’échauffent et le pas sera vite franchi de l’intervention sociale à l’action économique.
L’époque était à l’audace et parallèlement aux habitants de l’Alma, d’autres roubaisiens vont expérimenter l’autogestion. Exemple en 1978, plusieurs dizaines de salariés d’un tissage, privés d’emploi par les malversations de leurs propriétaires et les maladresses de leur directeur, relancent l’entreprise avec le soutien de sympathisants devenus actionnaires. Malgré un réseau commercial en miettes, l’activité de l’entreprise croît rapidement et en 1980 quarante emplois sont créés. Néanmoins, l’initiative ne réussira pas à surmonter les contraintes imposées par la restructuration du secteur textile qui, dans la seule région Nord-Pas-de-Calais, a perdu 75000 emplois depuis 1974. Contre la course à la productivité et la concurrence des pays en voie de développement, le combat reste vain quand l’on suppose inéluctable la mutation de la société de production.
1995, Roubaix est toujours en bute à la précarité et au chômage. La reprise économique n’a pas eu lieu, l’autogestion n’a pas tenu ses promesses. Marie-Agnès Leman continue d’animer la vie associative du quartier de l’Alma afin de repousser un peu les murs de la misère et de l’exclusion qui, jour après jour, enserrent davantage de citoyens. Et si les actions entreprises n’ont pas toujours porté leurs fruits, reste que la vie associative roubaisienne a désormais valeur d’exemple. Les initiatives comme celles de l’Alma ont fait école et inspiré la jeunesse de Roubaix. Ils sont quelques-uns, notamment d’origine maghrébine, a poursuivre la lutte urbaine, chacun selon sa sensibilité. Tous les observateurs, les journalistes, rapportent que si Roubaix n’a pas encore explosé, c’est grâce à la densité de sa trame associative. De drôles de casques bleus, sur un drôle de front. Celui du chômage, de la toxicomanie, de la délinquance. Tel est le sentiment de certains élus dont le premier Magistrat. Mais si les tentatives de récupération sont fréquentes de la part des élus, leur volonté n’est pas feinte de pourvoir au bien-être de la cité. C’est du reste l’acquis essentiel des associations roubaisiennes que d’avoir su nouer un dialogue avec les élus pour que l’aménagement ne se fasse pas au détriment du développement social. L’époque des grands timoniers est révolue. C’est à la rame et ensemble, qu’élus, entrepreneurs et habitants sont désormais contraints d’avancer.
urban transformation, urban development, urban conflict, urban neighbourhood, neighbourhood organization, deteriorated neighbourhood, inhabitant consultation, mobilization of the inhabitants, participation of inhabitants, self management
, France, Roubaix
Book
VERFAILLIE, B., Roubaix : chants de briques, paroles d'Hommes, Desclée de Brouwer, 1995 (France)
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