05 / 1993
Les positions de principe des syndicats sur la question de la sécurité nationale et sur la situation des industries d’armement.
Les syndicats, particulièrement la CGT, réaffirment toujours leur attachement à la paix, mais ils admettent que le désarmement complet ne pouvant être, pour l’heure, un objectif réaliste, un concept de défense est nécessaire.
Pour FO, la prolifération des armes, notamment atomiques, impose de parvenir à un Ordre International avec réglementation et moyens de police.
Pour la CGT, cet ordre doit éliminer les inégalités et les hégémonies. Elle lie strictement les conditions militaires et non-militaires (principalement économiques)de la sécurité qui doit être collective.
Pour la CFDT, les bouleversements géostratégiques récents imposent une redéfinition de la sécurité que l’on verrait volontiers s’organiser au niveau de la Communauté européenne.
S’agissant du statut de l’industrie de défense, les deux premières centrales insistent pour que cette industrie soit nationale, publique, et qu’elle réponde aux besoins nationaux uniquement. La crise de ce secteur industriel est surtout liée à des contingences économiques estime FO qui demande que la collectivité nationale assume le coût budgétaire de sa politique de défense. La CGT dénonce les choix industriels de spécialisation des grands groupes français de défense qui privent l’économie civile des crédits nécessaires à sa modernisation et ne peuvent correspondre à une logique de désarmement. Il faut, pour elle, relancer une économie civile pacifique, orientée en priorité vers la satisfaction des besoins sociaux. Pour la CFDT, les pertes d’emplois dans l’industrie d’armement sont la conséquence de la remise en cause acceptée d’une stratégie de défense et l’Etat doit compenser cette incidence négative par des mesures spécifiques. Et elle fait des propositions d’accompagnement: réduction massive de la durée du travail, exportation, diversification.
La diversification a la faveur de toutes les centrales syndicales - probablement aussi parce que l’utilisation de ce terme évoquerait davantage un processus de développement qu’un processus de reconversion qui effraie! Dans l’ensemble, toutes réclament surtout l’implication de l’Etat dans de telles opérations, y compris dans le cadre d’une "loi de programmation de reconversion du secteur défense", notamment pour soutenir une formation-qualification-reconversion vers de nouveaux métiers et pour pousser la recherche-développement de "technologies duales". Par ailleurs, la prise de conscience de la nécessité d’adopter une posture plus commerciale pour affronter davantage le marché est également sensible.
La défense des situations acquises.
Le monde syndical français est mobilisé sur la question de la reconversion, mais la situation de crise dissuade aussi les travailleurs de se poser la question de leur utilité sociale car la conversion se fait "sur leur dos" (emplois, statut), étant donné que la concurrence est déjà vive entre entreprises au niveau national mais aussi au niveau international.
Les facteurs qui influent sur la résistance au changement sont les suivants:
-la situation de crise ne frappe pas avec la même intensité les différents secteurs de l’industrie d’armement ce qui explique des différences de mobilisation selon les fédérations.
-le niveau de qualification des travailleurs concernés fait varier les positions concrètes des organisations syndicales. Les ouvriers seraient plus réticents à l’égard des problèmes de conversion si l’on en juge par l’attitude des organisations de base CGT et FO vers lesquelles ils paraissent plutôt se tourner (défense d’un emploi d’autant plus menacé que la qualification est faible; défense d’un statut réel et pécunier en même temps que d’un statut symbolique qui ont contribué à forger une tradition corporatiste; traumatisme de la prise de conscience de la fin de la sécurité de l’emploi.
-les techniciens et cadres supérieurs, bien que plus déterminés à ne pas se cantonner à la défense de situations, sont de plus en plus touchés par le chômage.
-la "distance hiérarchique" de l’organisation vis à vis de la base. Les sections syndicales, proches de la base, semblent mettre davantage l’accent sur les difficultés concrètes, que le niveau plus élevé de la confédération ou de la fédération, plus attaché au long-terme et à une vision stratégique (par exemple: les tracts de la section CFDT de GIAT-Industries révèlent une plus grande "combativité" que les positions de sa propre fédération).
B. Gerbier connait bien le monde ouvrier et les instance syndicales. Ses observations témoignent d’une situation qui devient dramatique: cumulant remise en cause généralisée d’un statut matériel et remise en cause idéologique, elle met à nu les contradictions apparemment insolubles des travailleurs et des syndicats concernés.
La méthode d’analyse marxiste des causes structurelles, dont l’auteur est un familier, trouve là une application éclatante. A défaut d’une réorientation générale du système économique, les ajustements industriels, et donc sociaux, vont devoir suivre les dures lois du marché et donc encore aggraver la crise.
Où l’on voit, en tous les cas, que ce n’est certainement pas non plus du niveau d’exécution uniquement, du "terrain" lui-même, que pourront venir les solutions d’une véritable concertation de toutes les énergies.
Bernard Gerbier est professeur à la faculté des sciences économiques de Grenoble.
Interview
GERBIER, Bernard
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