De la santé animale au développement de l’homme

1984. Le Sahel vit une sécheresse particulièrement brutale. Les troupeaux meurent faute de fourrage. Pour permettre aux nomades d’éviter la catastrophe, il faut abattre rapidement les animaux menacés afin de pouvoir vendre la viande. Plus tard, il faudra reconstituer les troupeaux. C’est là que Vétérinaires sans frontières entre en action pour la première fois en s’installant précipitamment à Tombouctou. C’est le début d’un parcours mouvementé qui emmènera les volontaires français en Guinée, en Palestine, en Afghanistan, au Cambodge, en Bolivie, au Guatemala...

Douze ans après, l’association prend le temps d’un retour sur son expérience. Michel Bouy, le vétérinaire, et Jo Dasnière, l’animatrice rurale, nous font revivre leurs tribulations à travers les continents, mais nous invitent surtout à une réflexion sur les méthodes d’intervention des ONG, sur le volontariat, sur l’urgence et le développement, sur le technique et le politique.

VSF est typique de cette génération d’ONG créées dans les années quatre-vingts et qui, lassées par les dérives politico-idéologiques du discours tiersmondiste, décident de privilégier l’action en basant leurs interventions sur le professionnalisme de leur personnel. Au début, le domaine d’intervention de VSF est bien précis, c’est celui de la santé animale, un élément important de la vie des paysans sur tous les continents. Mais pour être efficaces comme pour assurer la pérennité de leurs actions, les jeunes vétos doivent s’intéresser aussi aux hommes, à leur économie, leur organisation sociale, leur culture. Sans cela, impossible de comprendre quoi de ce soit de leurs façons de faire ni songer à apporter des changements durables. Et pour comprendre les sociétés locales, il leur faut bientôt connaître le contexte global dans lequel elles sont immergées. La santé animale s’avère représenter une clef d’entrée très pertinente pour des projets qui toucheront au développement rural de façon plus générale. Les autres dimensions seront abordées sans contrainte ni modèle par les équipes VSF. Au Guatemala, l’association forme des promoteurs d’élevage qui se constitueront en association et s’imposeront comme acteur local même après le départ de VSF. En Afghanistan ou au Nicaragua, VSF constatera que la neutralité politique est impossible. Un projet au Togo les amènera à s’interroger sur le rôle de l’Etat dans le développement rural. De proche en proche, les dimensions politiques, dont ils pensaient pouvoir se passer, ne tardent donc pas à réapparaître. Avec leur cortège d’interrogations et le sentiment d’impuissance. "En s’ouvrant à l’ensemble de ce qui fait la vie quotidienne des hommes et des femmes, en sortant du sécurisant domaine technique, VSF s’est exposée au doute". A quoi cela sert-il se mener un travail de fourmi sur le terrain si les politiques économiques, en faisant par exemple varier le prix des produits agricoles, entrainent des effets gigantesques ? En aidant les paysans à se prendre en charge, ne fait-on pas le jeu de ceux qui suggèrent de les abandonner à leur sort, laissant aux secteurs plus compétitifs de l’économie le soin de décider de l’avenir du pays ? Pour trouver un sens à leur action, les animateurs de VSF doivent donner aux populations avec qui elles travaillent les moyens de peser sur les choix qui les concernent, notamment les politiques, y compris à l’échelle internationale. Quel défi !

C’est à ce cheminement que nous invite ce dossier, qui passionnera tous ceux qui s’intéressent au développement. VSF n’aura pas fait que se rallier à des arguments autrefois trop vite évacués, mais a apporté des éléments nouveaux au débat sur les démarches d’intervention. Par exemple, son refus de l’amateurisme et son souci permanent envers la qualité de ses prestations lui vaudront bien des succès et stimuleront beaucoup d’ONG. Sa démarche d’accumulation de sa propre expérience au moyen d’un processus d’échange entre équipes et entre projets pourrait en inspirer bien d’autres. Espérons que la sincérité dont elle fait preuve dans ce retour sur sa propre expérience les convaincra toutes de la nécessité d’un tel processus de capitalisation.