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dialogues, proposals, stories for global citizenship

Les citoyens, la politique et le marché

Plaidoyer pour un renouveau de la question alimentaire

Pierre Yves GUIHENEUF

06 / 1996

Au rythme où vont les choses et si l’on n’y prend pas garde, le monde ne sera pas capable dans trente ans de nourrir dix milliards d’individus. La désertification s’accroît de quelques millions d’hectares chaque année, les nappes phréatiques, dans un certain nombre de régions du monde, sont polluées par le productivisme même. Les fonds poissonneux ont été exploités dans des conditions insupportables, au risque de compromettre l’avenir. La ressource en eau risque de devenir un facteur limitant si le gaspillage auquel nous sommes habitués ne cesse pas.

La recherche et les savoirs des peuples

Les chercheurs ont le sentiment qu’existent encore des zones de mystère qui doivent révéler de nouvelles capacités. Mais le progrès semble se ralentir et des efforts complémentaires, sans doute d’un autre ordre, doivent être accomplis. La recherche spécialisée, exclusivement tournée vers la performance quantitative, ne suffit pas. En matière d’agronomie comme en matière de médecine, on soigne désormais les maladies plus que les malades. Or, aujourd’hui, le monde est malade.

La recherche centralisée ne parvient pas à mobiliser les acteurs du terrain. Les plus savants estiment qu’il y a sans doute plus de savoirs dans la somme des héritages répartis à travers le monde qu’il n’y en a dans tous les laboratoires. Dans quelles conditions sera-t-il possible d’extraire, de toute cette expérience accumulée et que l’on a trop négligée par le passé, des savoirs qui, systématisés, organisés, développés, permettraient d’aller plus avant ? Il est nécessaire de faire de ceux qui les détiennent les partenaires de leur propre destin.

Les insuffisances du marché

Le marché est comme la démocratie de Churchill : le plus mauvais des systèmes que l’on puisse imaginer, mais le seul qui fonctionne. Mais le marché ne peut pas répondre à tous les problèmes qui nous sont posés.

Le marché n’est pas capable de répondre aux besoins non solvables. Il ne sait pas résoudre les problèmes de ceux qui connaissent la pauvreté, la misère, la mort précoce, le handicap. Pour eux, il nous faut trouver d’autres solutions. Il faut trouver les moyens de distribuer là où le marché ne sait pas le faire. Nous le ferons peut-être à l’aide des marchands, mais sous une autre forme, solidaire.

Le grand marché mondial ne permet pas aux pays en développement de préserver leur agriculture : pour ces pays, il est plus onéreux de produire que de s’approvisionner aux cours mondiaux, car les cours mondiaux sont artificiellement bas. Ces pays ne peuvent atteindre une certaine sécurité alimentaire ni participer en tant qu’acteurs, aussi bien acheteurs que vendeurs, à ce marché mondial.

Le marché n’a pas toujours le souci des problèmes du long terme. Or, la préservation des ressources naturelles, comme la forêt et bien d’autres, exigent une vision de long terme. Les forces du marché à elles seules ne peuvent pas résoudre les problèmes de l’environnement. L’environnement est le patrimoine commun de tous les êtres humains, il n’appartient pas aux marchands d’en être les responsables ni les gestionnaires.

Le marché n’est pas capable de se préoccuper, comme il conviendrait qu’il le fasse, des problèmes sociaux et des déséquilibres démographiques. Il contribue à l’urbanisation croissante qui se développe dans le monde. A-t-on pris conscience qu’en Afrique, dans les 50 ans qui viennent, il faudra urbaniser des espaces suffisants pour 700 millions d’êtres humains ? Jamais, dans l’histoire du monde, aucune institution, aucun continent n’a eu à faire face à un problème d’une telle ampleur. N’est-il pas temps de faire en sorte que d’autres attraits soient créés dans les campagnes de façon que l’urbanisation soit moins rapide ?

Le marché ne doit pas être nié, mais il doit être questionné. N’est-il pas possible d’imaginer que les pays en développement développent leur agriculture ? Il faudrait pour cela que, dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce, un véritable pacte les autorise à mettre en place un système de protection contre la concurrence internationale le temps que leurs agricultures, grâce à leurs propres efforts et à l’aide extérieure, soit progressivement capable de s’ouvrir sur le monde ?

Chacun sait que, seul, il n’a pas la possibilité de résoudre les problèmes du monde. La seule réponse juste sera nécessairement collective et respectueuse de la diversité. Il nous faut, pour l’élaborer, beaucoup d’imagination et beaucoup de courage. Cela passera nécessairement par une concertation avec les organisations internationales. Pourquoi l’organisation même de la FAO ne permettrait-elle pas de favoriser les initiatives locales ? Si la FAO n’a pas fait ce qui était attendu d’elle, n’est-ce pas aussi parce qu’on ne lui en n’a pas donné les moyens et parce qu’on l’a amputée des tâches qui lui auraient donné sa vraie dimension ?

Toux ceux qui souhaitent contribuer à ce débat doivent pouvoir le faire. Les citoyens doivent interpeller le monde politique, afin qu’il prenne dans ce débat la place qui est la sienne. Nous devons pour cela construire des réseaux, afin que le monde sache qu’il est monde. Pour qu’il change.

Key words

food sovereignty, agriculture, liberalism, world market, research, popular knowledge


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Comments

En octobre 1995, à l’occasion du cinquantième anniversaire de la FAO, s’est tenue la rencontre internationale de Québec sur la sécurité alimentaire mondiale. A cette occasion, Edgard Pisani a rapporté devant les ministres de l’agriculture de plus de cent pays du monde et les délégués de nombreuses organisations internationales, les conclusions d’une assemblée qu’il présidait durant trois jours et qui, dans le cadre de la conférence, a réuni plus d’un millier de personnes représentant des organisations non gouvernementales, des chercheurs et des entreprises. C’est l’essentiel de ce rapport qui est présenté ici.

Source

Book

PISANI, Edgard, Entre le marché et les besoins des hommes, FPH in. Dossier pour un débat, 1995 (France), n° 53

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