En Inde, des centaines de femmes quittent leur village et leur mode de vie traditionnel pour travailler comme salariées du marché central des fruits et légumes de Puné, une ville située à 200 kilomètres de Bombay. Les récits de vie de ces femmes porte-faix témoignent de leur remarquable adaptation à l’univers urbain et au monde du travail salarié ; pourtant, bien différemment de leurs homologues masculins, ces salariées de fraîche date vivent leur entrée en ville comme une libération du carcan patriarcal, et comme un vertige face à une libertéinconnue. De surcroît, ce que le travail d’animation coordonné par Guy Poitevin et Hema Rairkar leur a permis comme à bien d’autres, c’est l’émancipation par la parole. "Dans une société aussi statutaire et aussi hiérarchisée qu’en Inde, explique Thierry Paquot dans sa préface, on sait qui sait et ne sait pas, mais la parole ne circule pas. Il n’existe pas d’écluse entre les mots des uns et les savoirs des autres. Un tel passage réclame de la "conscientisation" (...)qui passe par la prise de parole. Mais comment oser parler quand onignore qu’on a des choses à dire ? ". "Les femmes n’ont pas peur des tigres, mais des fonctionnaires" constate un animateur rural, jusqu’au moment où l’une d’elle, prenant son courage à deux mains, parle à haute voix, malgré les ricanements des uns et la hargne des autres. Elle parle simplement pour raconter sa vie, ce qui ne va pas, ce qui pourrait être mieux, ce qui n’est pas juste, ce qui est difficile à supporter. Et le silence se fait. Et ceux d’en haut écoutent le silence d’en bas et doivent en tenir compte. La femme se tait, étonnée d’avoir pu dire ce qui, d’habitude, se terrait au fond d’elle, comme une crainte, comme un danger, comme une honte aussi. Elle est toute tourneboulée, comme gênée et ivre en même temps. Elle entrevoit les sourires victorieux de ses voisines et cela la réconforte. Il lui faut maintenant affronter les bureaucrates, les décideurs, les haut placés. C’est possible."
Les auteurs ont suivi ces femmes à la trace comme des amies, depuis qu’à la campagne, au petit matin, elles broient le grain pendant des heures en tournant une pierre sur l’autre et en psalmodiant ces "chants de la meule "qu’Hema avait si longuement recueillis dans le Maharashtra quelques années auparavant et qui parsèment l’ouvrage avec bonheur.
"Femmes coolies en Inde "est le livre de femmes qui surmontent ce que la vie peut apporter de pire et qui finissent par s’adapter à tout. "Nous, celles du marché ! s’écrie l’une d’entre elles. Il suffit qu’une querelle éclate ici ou là pour que aussitôt les gens disent "Ah! c’est celles qui sont coolies au marché! Qui les écoutera? Qui les laissera parler?" Il faut qu’on supporte tout avec patience pour se mettre quelque chose dans le ventre. "Supporter tout? Oui, même les hommes : "Dalâl et coolies ont beau avoir un langage grossier et des comportements déplacés, cela ne nous fait rien, à nous, on est endurcies."
caste, urban environment, disadvantaged population, poverty, woman, social insertion, social exclusion, popular mobilization
, India
Book
POITEVIN, GUY, RAIRKAR, Hema, Femmes coolies en Inde, SYROS ALTERNATIVES, 1994 (France)
GEYSER (Groupe d’Etudes et de Services pour l’Economie des Ressources) - Rue Grande, 04870 Saint Michel l’Observatoire, FRANCE - France - www.geyser.asso.fr - geyser (@) geyser.asso.fr