L’engagement des femmes en Inde pour la défense de l’environnement a commencé bien avant la Décennie des femmes (1975-1985)et la conférence de Pékin (Septembre 1995).
L’un des premiers mouvements écologiques contemporains est né dans des villages perdus de l’Etat d’Uttar Pradesh. Un beau matin de mars 1973, des ouvriers d’une usine d’articles de sports située dans la plaine se rendirent au village de Mandal pour couper des frênes : ils furent chassé par les villageois. Des incidents similaires se reproduisirent en d’autres lieux. Ce combat pour protéger le forêt connut un tournant dans le village de Reni, non loin de la frontière tibétaine. Alors que les hommes étaient absents, des ouvriers vinrent couper les arbres. Mais les femmes s’y opposèrent physiquement, sans se laisser impressionner par les hommes munis de haches. «Cette forêt est la demeure de nos mères, nous la protégerons de toutes nos forces». Elles barrèrent le chemin de la forêt, faisant de leurs corps un rempart et enlaçant le tronc des arbres destinés à être abattus. Le mouvement de Chipko («mouvement d’étreinte»)était né. Les femmes l’avaient emporté : une interdiction d’abattre les arbres durant dix ans fut édictée.
Ce type de luttes s’est alors étendu à de nouveaux villages. A Bhunyandar, la "Vallée de fleurs", les femmes se sont même opposées à leurs parents d’un village voisin, qui voulaient abattre les arbres pour approvisionner des touristes en combustibles. L’administration forestière avait accordé le droit d’exploitation à une coopérative, mais les femmes volèrent les haches et ne les rendirent que lorsque les hommes eurent accepté de quitter le village.
A Dungari-Patoli, le panchayat (conseil municipal)était dominé par les hommes. Il avait vendu la forêt communautaire au gouvernement qui devait l’abattre pour laisser place à des routes, des lignes électriques et autres aménagements. Mais cela allait obliger les femmes, qui devaient collecter du bois pour les besoins du ménage, à parcourir cinq kilomètres supplémentaires par jour pour atteindre la forêt. Aidées par d’autres militantes, elles empêchèrent sa destruction et réclamèrent aussi le droit d’être élues au panchayat.
En 1983, ce mouvement inspirait une autre lutte. Celle d’Appiko (Karnataka)où quelque deux cents hommes, femmes et enfants enlacèrent les arbres destinés à être coupés pour des besoins commerciaux. Près de 12 000 arbres furent ainsi sauvés. A Kirakhot, les femmes engagèrent un procès contre un industriel qui voulait extraire de la stéatite, et pour cela détruire des forêts. Finalement, la mine dût être fermée en 1982.
Si les mouvements de résistances se sont ainsi multipliés, c’est que le déboisement industriel a généralement, en Inde, des conséquences très graves pour les communautés locales et, en particulier, pour les femmes des populations rurales pauvres. Ces femmes, responsables de la bonne marche du ménage, doivent en effet recourir aux ressources traditionnelles (bois de chauffe, bouses de bétail, déchets agricoles...). Mais ces ressources s’avèrent rares et leur maintien est une question de survie. Or, la "modernisation" économique au profit des centres urbains implique ici une destruction des ressources dont dépendent vitalement les populations rurales.
Dans le monde rural, les femmes consacrent beaucoup de temps à la culture des champs et au travail domestique, mais aussi au transport de l’eau, du combustible, au forage de puits, etc. Dans les zones péri-urbaines, il y a une quarantaine d’années, la collecte du bois de chauffe leur demandait en moyenne deux heures par jour. Depuis la déforestation, il leur faut six à neuf heures. Il reste d’autant moins de temps à ces femmes pour assurer l’alimentation de la famille, et la leur.
Le mouvement Chipko s’est engagé comme combat pour la survie. Mais il a aussi permis de mettre en valeur le rôle positif joué par les femmes dans l’économie rurale. Il a exprimé une prise de conscience de ces femmes quant à l’importance économique et écologique des ressources naturelles, quant à la fragilité des écosystèmes, quant aux dangers dont est porteur le processus de désertification. Au fil de ce combat, les femmes ont obligé les autorités à les reconnaître en tant que partenaires sociaux. Elles ont eu l’occasion de se réunir, de parler ensemble de leurs problèmes, de faire valoir leurs propres priorités. Là où cette expérience s’est pleinement développée, des femmes, intéressées au départ par la politique de reboisement, se sont ensuite progressivement senties concernées par d’autres questions (approvisionnement en eau potable, écoles, dispensaires...). Elles sont aussi devenues plus actives, plus ouvertes, désireuses de se former.
Depuis les années soixante-dix, le mouvement Chipko a ainsi organisé des "camps d’écodéveloppement" dans lesquels il forme les paysan(ne)s à l’entretien communautaire de la forêt. Cela a donné naissance au plus important programme de reboisement du pays, à tel point que le gouvernement a dû subventionner lui-même ces camps et accorder des fonds significatifs à diverses organisations non gouvernementales.
Ce mouvement a toujours défendu l’idée que les forêts et les terrains communaux, même s’ils sont légalement la propriété du gouvernement, appartiennent moralement aux habitants qui y vivent. Il considère qu’il s’agit là d’un principe démocratique de base.
En 1987, le prix Nobel alternatif (Right Livelihood Award)a honoré les femmes du mouvement Chipko. La communauté internationale se joignait ainsi aux femmes indiennes pour remettre en question le concept dominant du développement.
Après avoir lutté contre la déforestation, le mouvement Chipko s’est opposé à la construction d’un immense ensemble de barrages sur la Narmada, un projet soutenu par la Banque mondiale... Si ce dernier combat a pris une dimension internationale, on connaît moins la lutte du mouvement contre les cultures industrielles de crevettes dans les mangroves indiennes, où l’on utilise antibiotiques, nutriments, farines de poisson. Cette culture spéculative, pratiquée pour être vendue en Occident, menace directement les habitants des 6 000 km. de côtes indiennes. Les femmes, qui se sont dénommées «les Chipko de la Mer», refusent la salinisation du milieu fragile de la mangrove. Elles chantent : «Debout, filles de la mer, ils veulent violer votre mère !»
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, India
Biodiversité : le vivant en mouvement
Quand les femmes se mobilisent pour la paix, la citoyenneté, l’égalité des droits
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BISILLIAT, Jeanne (sous la dir. de), Relations de genre et développement, ORSTOM, 1992 (France); <PARISOT, Rajarajeswari>, <Les femmes indiennes face aux crises écologiques>, contribution à l'ouvrage cité ci-dessus.; Articles dans "<L'état de l'environnement dans le monde>" et dans "<L'état du Tiers Monde 1987>", Paris, Ed. La Découverte.
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