L’action des mères de soldats : un exemple des difficultés d’émergence de la société civile
08 / 1996
La politique de glasnost, lancée par Mikhail Gorbatchev en URSS, à la fin des années 1980 conduit à une libéralisation de la presse et à une liberté de l’information nouvelle dans le pays. Dans ce cadre, des informations relatives à la situation des soldats dans l’armée commencent à circuler. Les journaux évoquent de plus en plus ouvertement les sévices et les mauvais traitements subis par les jeunes conscrits dans l’armée soviétique. Les reportages se multiplient sur la dedovchina, terme désignant le bizutage violent des jeunes recrues par les soldats plus âgés, s’accompagnant de sévices physiques et moraux pouvant aller jusqu’au décès des conscrits. Suite à la diffusion de ces informations et en raison de la plus grande liberté permise par la politique de M. Gorbatchev, des associations se créent pour défendre les droits des jeunes soldats. Ces associations sont créées à l’initiative des mères des soldats.
Contrairement aux idées reçues, le mouvement des mères de soldats se caractérise par sa diversité. Plusieurs associations de ce type existent, aux objectifs généralement proches, mais qui se différencient par leurs modes d’action. Quatre associations principales, fondées sous M.Gorbatchev et toujours actives aujourd’hui, oeuvrent à la défense des conscrits. Les deux mouvements les plus connus, en raison de leur mode d’action, sont le Comité des mères de soldats de Russie et le Mouvement des mères des soldats. Le Comité des mères de soldats est fondé en 1989 à l’initiative de Maria Kirbasova. Il organise des consultations juridiques pour aider les parents, des marches pour la paix pour attirer l’attention du pouvoir sur les dysfonctionnements de l’armée et tient à jour la liste des soldats disparus ou décédés au sein de l’armée. Il aide les jeunes à échapper au service militaire par tous les moyens à sa disposition. Le Mouvement des mères de soldats, fondé par Lioubov Lymar en 1989, ne regroupe que des parents dont un fils est décédé à l’armée. Ce mouvement doit sa renommée à l’organisation de manifestations silencieuses de mères, portant les photos de leurs fils, devant les bâtiments officiels (Parlement, Procurature…). Ces deux mouvements se rapprochent par leurs recours à l’action publique pour faire valoir leurs droits.
La Fondation « Le droit des mères », fondée par Veronika Marcenko en 1990, se distingue des deux mouvements précédents par son action exclusivement juridique. La Fondation offre une aide juridique aux parents ayant perdu un fils à l’armée mais refuse de recourir aux actions de rue qu’elle juge innefficaces. La Fondation publie chaque année un rapport sur la situation des conscrits.
Enfin, la quatrième association se différencie radicalement des trois précédentes. Le Conseil des Parents de militaires, fondé en juillet 1991 par Galina Chaldikova, entretient des rapports étroits avec le Ministère de la défense de Russie. Ses actions sont exclusivement de type charitable. Il distribue des friandises aux soldats à l’occasion des fêtes.
La fracture majeure qui sépare les associations de défense des soldats est celle qui oppose le Conseil des parents de militaires aux autres associations. Le Conseil des parents de militaire considère que le Comité des mères de soldats est un mouvement agressif voire inconséquent. A l’inverse, le Comité dénonce le Conseil, à la solde du ministère de la Défense.
En ce qui concerne les trois autres associations, leur désunion semble plus liée à des questions de personnes, et notamment à la forte personnalité de leur fondatrice, qu’à des divergences de fonds. Cette désunion altère leur efficacité et limite leur influence auprès des dirigeants politiques et militaires. Comme l’explique Lioubov Aleniceva, secrétaire de presse de la Fondation « Le droit des mères », « peut-être que nous parviendrons à faire changer les choses si toutes les organisations travaillent ensemble. Mais aujourd’hui, chacun travaille de son côté. Nous n’avons aucune influence sur l’administration militaire ».
association, human rights, civil resistance, civil society, army, military
, Russia
Les mouvements de mères de soldats, qui bénéficiaient d’une oreille attentive du gouvernement sous M.Gorbatchev, sont actuellement ignorés par le gouvernement de B.Eltsine. Leur action est généralement remarquable, à l’exception de celle du Conseil des parents de militaires dont le soutien au gouvernement envers et contre tout semble contestable. Les divisions renforcent leur faiblesse et pourraient conduire à la disparition de certaines associations comme le Mouvement des mères de soldats, en grande difficulté financière.
Interview
Entretien avec Valentina MELNIKOVA et Galina CHALDIKOVA
Association France Oural - 14, rue des Tapisseries, 75017 Paris, FRANCE - Tél : +33 (0)1 46 22 55 18 / +33 (0)9 51 33 55 18 - Fax : +33 (0)9 56 33 55 18 - France - www.france-oural.org - franural (@) free.fr