Philosophies et pratiques de l’Afrique noire
Georges THILL, Jean-Paul LEONIS
07 / 1995
Michael Singleton, anthropologue, a vécu 25 ans en Afrique. Il est un membre fondateur du réseau PRELUDE. Spécialisé en ethnomédecine, ses approches de la santé en Afrique sont précieuses pour mieux comprendre la médecine dite traditionnelle.
Dans tout le monde bantou (une aire qui couvre, en gros, le centre de l’Afrique, à partir d’une ligne tirée entre Yaoundé et Mombasa)se retrouve le radical "gang", dont le sens primordial pourrait être "visibilité lumineuse". Cette racine a donné lieu à des mots désignant, d’une part, une personne spécialisée: le muganga, et, de l’autre, un champ ou des choses: uganga. Pour mémoire, quand on traite de santé, la famille des termes "médicaux" est liée à une racine indo-européenne associée à l’idée de mesure - idée absente de la "médecine" africaine, qui accentue la capacité du "médecin" de voir clair et de rectifier le désordre. Quant l’Occident est arrivé massivement sur la scène africaine à la fin du XIXe siècle avec ses propres grilles d’analyses (par exemple, le somatique, le psychique et le spirituel)et ses découpages sectoriels spécifiques (par exemple, la médecine scientifique opposée à la magie superstitieuse et/ou le mysticisme religieux), il a vu dans le muganga, au mieux, un médecin spécialiste des herbes, au pire, un sinistre sorcier. Du côté des médicaments eux-mêmes (uganga)ce même Occident a hésité entre des simples remèdes herboristes et des purs supports symboliques pour des (retro)actions psychosomatiques. Le muganga est à la fois beaucoup plus et beaucoup moins que ce que l’Occident appelle "médecin" et son "uganga correspond très peu avec ce que l’Occident appelle "herbes médicinales".
Rétablir cette vérité, en écouter la voix de l’Afrique profonde, c’est la voie de départ choisie par PRELUDE en matière de santé en Afrique même si par les temps qui courent, les waganga eux-mêmes semblent explicitement vouloir s’aligner sur le modèle de la biomédecine occidentale, soit parce qu’ils sont victimes d’une tendance mimétique, compréhensible, soit parce que l’ordre établi occidental leur a fait miroiter une reconnaissance. Entre autres, s’indiquent des clarifications anthropologiques: la vision de l’homme en Afrique a peu de choses en commun avec son pendant occidental; là où nous dichotomisons - corps contre âme -, des cultures africaines distinguent plusieurs éléments - tels que l’ombre, les tripes, l’esprit d’un ancêtre, la présence d’un démon. Notre dichotomisation ne peut qu’influencer l’approche "soins". En Afrique, par contre, il s’agit de faire apparaître et reconnaître ce que peut représenter la maladie et la santé dans la tête des gens dont les demandes rencontrent les offres des waganga, lesquelles débordent, et de loin, le domaine médical même entendu au sens large: les "guérisseurs" sont aussi, sinon surtout, des faiseurs de pluies, des protecteurs de bétail, des combattants de sorciers.
Préconisant un codéveloppement humain viable, PRELUDE tient à faire droit aux réalités locales, dans toute leur complexité. Le réseau est conscient du danger qui guette le guérisseur de se trouver inféodé inconsciemment aux idéologies et aux institutions du monde moderne. D’où l’intérêt d’explorer les possibilités qu’offrent socio-culturellement, pour une fécondation réciproque débordant l’antinomie tradition/modernité, les conceptions et pratiques africaines en matière de santé, et ce au sens le plus heuristique des termes employés.
Il se peut que les acteurs (les "guérisseurs")et leurs systèmes dits "médicaux" ne puissent être assimilés que de manière très ambiguë à ce que l’Occident et sa Science ont décrété être de la Médecine.
Il se peut qu’inspirés par l’idéologie occidentale, beaucoup de chercheurs "ethno-médicalisants", sans doute à leur insu et même à leur corps défendant, dénaturent foncièrement les réalités des cultures africaines.
Il se peut aussi que des initiatives industrielles en la matière, aussi intentionnées ou indigénéisées qu’elles soient, ne puissent pas échapper aux équivoques qui régissent les rapports de force entre des groupes hégémoniques et des groupes subalternes.
medicine, traditional medicine, alternative medicine, science and culture, cultural model, system of cultural representation
, Sub-saharan africa, Central Africa, East Africa
Michael Singleton, Université Catholique de Louvain (UCL), Belgique
Entretien avec SINGLETON, Michael
Interview
PRELUDE, 1995/05/02
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