Pourquoi le Japon a-t-il été capable de construire une démocratie alors que la Chine est devenue communiste ?
09 / 1996
A propos du Japon et de la Chine, se pose la question suivante : pourquoi ces deux pays ont-ils évolué tellement différemment non seulement économiquement mais politiquement ? Pourquoi le Japon a-t-il été capable de construire une démocratie alors que la Chine est devenue communiste ?
On peut montrer que la société chinoise a toujours été plus égalitaire et moins exclusive que la société japonaise ; plus égalitaire également du point de vue des sexes. Jusqu’au milieu du XIXe siècle, le système politique chinois a été plus avancé et plus rationnel grâce à son organisation bureaucratique sophistiquée et à ses procédures très élaborées. Pendant des siècles, la Chine a été du côté des fournisseurs de techniques au profit des états voisins. D’autre part, il y a peu de chose dans la société japonaise qui puisse être citée en référence avec la démocratie telle que nous la comprenons, qu’il s’agisse de la hiérarchie, des préséances, du sens très développé de l’identité du groupe, de la répression de l’individualisme, de la discrimination antiféminine, etc. Malgré tout cela, le Japon a pu se doter d’un cadre institutionnel démocratique dès les années 1880 jusqu’à la démocratie de plein exercice après 1945, alors que les tentatives chinoises de démocratisation ont jusqu’à maintenant échoué.
L’explication centrale est à trouver dans les différents modes de stratification de ces deux sociétés.
Le Japon est caractérisé par une stratification verticale : c’est le seul pays en dehors de l’Europe qui a connu la féodalité, pendant plus de 1000 ans, c’est-à-dire pendant plus longtemps que dans n’importe quel autre pays. Le féodalisme japonais avait une structure simple et multiple, avec plus de 250 principautés féodales en constante rivalité les unes avec les autres. Aucun féodal n’était assez puissant pour dominer les autres. Une longue tradition de compétition et de conflit s’est développée entre unités territoriales autonomes d’où a émergé un modèle original de consultation, de compromis et de construction d’un consensus.
La présence d’un empereur, symbole de l’autorité nationale, et quasi surnaturel, a maintenu les conflits dans des limites supportables. Cette situation a permis les combats de factions et les luttes pour le pouvoir dans le cadre du système impérial, ce qui était impensable ailleurs en Asie. Ces luttes ont été circonscrites au niveau des seigneurs sans y impliquer, la plupart du temps, les masses populaires. Aucune idéologie, y compris le Confucianisme en tant que doctrine d’Etat, n’a pu prendre racine dans la société japonaise. Il n’y a eu au Japon aucune révolte paysanne de masse ni grande révolution sociale dans les temps modernes.
Les structures féodales de la société japonaise n’ont pas été détruites, mais simplement modifiées et incorporées dans la structure moderne de gouvernement.
L’établissement d’un système représentatif de gouvernement à la fin du XIXe siècle a été destinée à apaiser les seigneurs féodaux et à reconnaître la réalité d’une décentralisation du pouvoir qui existait depuis longtemps dans la société japonaise.
En Chine, la situation est différente ; peut-être l’événement le plus important de l’histoire chinoise a-t-il été l’élimination, il y a 2000 ans, de la féodalité comme institution sociale et politique. Ce fut la conséquence de l’unification politique précoce du pays et du degré élevé de centralisation du pouvoir : ce qui fut rendu possible, de façon assez ironique, par le niveau élevé et précoce du développement technologique. Cela se traduisit par l’absence d’une structure de classe rigide et, en particulier, d’une aristocratie héréditaire, ainsi que par le rejet de l’hérédité comme source première de légitimité.
Dès lors, il n’existait aucune organisation sociale ou politique intermédiaire entre l’autorité impériale et la masse de la population. Aucun centre de pouvoir local autonome n’était de ce fait habilité à se développer.
Pendant des siècles, la Chine a présenté les caractéristiques d’une société de masse où la famille constituait la seule unité sociale susceptible de faire concurrence à l’autorité impériale pour s’attirer la loyauté du peuple.
L’unité politique de la nation supposait nécessairement la promotion de normes politiques et sociales mettant l’accent sur : unité, harmonie, stabilité mais pas du tout sur concurrence et conflit. D’où le rôle central de l’idéologie confucéenne dans l’histoire chinoise. Alors que l’empereur du Japon était considéré comme le descendant direct de la déesse du Soleil, en Chine, l’autorité de l’empereur ne fut jamais sanctionnée par Dieu ni garantie par l’hérédité. L’empereur devait faire la preuve de sa supériorité : militaire, politique, administrative, ce qui voulait dire que de temps en temps, le chef suprême pouvait être choisi au terme d’un processus naturel, à travers un combat politique réel. De toute façon, l’empereur était lié et identifié à la classe dominante, dans la mesure où la nation était inévitablement divisée en une élite minoritaire dominante et des masses dominées.
En conséquence, alors qu’au Japon, l’empereur intouchable pouvait prendre une attitude distante par rapport aux conflits politiques, en Chine un empereur faible et incompétent courait le risque d’être détrôné pour être remplacé par un nouveau successeur pourvu du mandat du Ciel. C’est ainsi que se succédèrent les dynasties.
On comprend alors que la concurrence et le conflit entre groupes sociaux ou unités géographiques étaient perçus comme socialement perturbateurs et politiquement destabilisants : en tout état de cause, à décourager et à supprimer. En raison de cette faiblesse structurelle de la société chinoise, et du dédain traditionnel pour le conflit, les conflits politiques majeurs ne purent prendre que deux formes extrêmes : tout d’abord, au plus haut niveau, sous la forme de coups d’Etat de palais mais aussi, plus fréquemment, au plus bas niveau, sous la forme de révoltes de masse.
La Chine n’a pu sortir du cycle des dynasties et il n’est pas étonnant que les tentatives de démocratisation de la Chine moderne aient toutes échoué. La chute du système impérial a accentué la faiblesse structurelle et culturelle de la société chinoise tout en balayant la totalité du vieil ordre bureaucratique et en détruisant le consensus ancien sur la manière dont la nation devait être gouvernée. Loin d’ouvrir la voie pour un Etat plus démocratique, cet événement a seulement rendu la Chine plus vulnérable au totalitarisme.
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, China, Japan
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Chang Pao Min in. Asian Profile, 1993/12 (Taiwan)
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