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dialogues, proposals, stories for global citizenship

De la réparation automobile à la fabrication de moulins à foufou

Pierre JUDET

09 / 1996

On a souvent répété à propos des pays en voie de développement que la résistance des activités artisanales traditionnelles s’était progressivement affaiblie sous le coup de l’invasion des produits des industries avancées et qu’elles ne pouvaient, de ce fait, jouer leur rôle de transition vers la création d’activités industrielles modernes. C’est pourquoi l’industrie n’aurait pu s’mplanter dans ces pays que de manière ponctuelle et par enclave, sans prise sur un tissu économique. Une telle dichotomie a le mérite de la simplicité ; elle ne semble pas pour autant rendre compte des dynamismes à l’oeuvre aussi bien dans les ruelles des médinas de Fès ou de Sfax que dans les faubours ou sur les marchés des villes subsahariennes.

C’est précisément à Brazzaville qu’est installé dans un des quartiers populaires de la capitale, un artisan-réparateur-fabricant. Autour de sa boutique sont garés : automobiles, land-rovers, véhicules utilitaires. Cet artisan répare ; pour réparer il adapte, usine, ajuste des pièces de récupération. Dans son atelier étroit, sont installées trois machines-outils : un tour, une fraiseuse, une aléseuse, qui étaient destinés à la ferraille par le centre d’enseignement technique qui les avait déclassés. L’artisan en a hérité ; il a d’abord réparé le tour, puis, grâce au tour, il a remis en état la fraiseuse et ainsi de suite. Mais ce mécanicien est sensible au marché et il a découvert qu’il y avait une demande pour des moulins à foufou, c’est-à-dire pour des appareils qui transforment en farine la pâte de manioc. Il s’est donc mis à construire des moulins à foufou ; les moteurs électriques sont des moteurs de récupération qu’il rebobine entièrement. Pour le tamis, une tôle de récupéraion fait l’affaire, qu’il perce de milliers de trous. Les moulins à foufou qu’il produit fonctionnent et se vendent. Il en a fabriqué des dizaines. Cet artisan-réparateur-fabricant emploie quelques apprentis qui ouvriront à leur tour leur propre atelier. Il appartient à un secteur en plein mouvement, qu’on appelle parfois "informel" parce qu’il échappe aux statistiques, au fisc et aux instituts de prévoyance. Malgré leur dynamisme et leur capacité d’innovation, cet artisan comme ses pareils sont considérés comme étranges, parce qu’inclassables dans les catégories habituelles des institutions officielles, alors qu’ils traduisent la vitalité d’une société prête à foisonner en activités pré-industrielles ou, tout simplement, industrielles.

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