Au début des années 80, le gouvernement américain déclara une guerre de quatre ans contre le cochon noir d’Haiti. On voulait ainsi stopper de façon radicale l’épidémie de fièvre porcine africaine qui risquait d’atteindre les élévages des Etats Unis. Plus d’un million de bêtes furent ainsi abattues et, en 1983, on considérait comme éteinte la très utile race locale. Pour le paysan haitien démuni, le cochon noir est un inestimable trésor car la bête se nourrit des restes de l’agriculture de subsistence donc ne nécessite aucune dépense et les cochonnets sont vendus procurant un argent frais dont a désespérément besoin la famille. De plus, pour les célébrations vaudou, le cochon noir est essentiel: son sacrifice scelle les contrats. La fièvre porcine africaine est une maladie virale contagieuse - incurable - endémique en Europe du Sud et en Afrique, mais inconnue sur le continent américain jusqu’en 1978, année où elle arriva en République dominicaine. Les spécialistes ne préconisent nullement l’abattage systématique. Ils conseillent d’isoler les troupeaux atteints et, à la limite, d’abattre uniquement ces bêtes. Mais les Américains sont arrivés à persuader les éleveurs dominicains d’abattre tous leurs cochons et de les remplacer par les races qu’ils élèvent. Cette politique a réussi et les Dominicains exportent maintenant du porc vers les Etats Unis. La situation était toute autre en Haiti où l’on ne compte que des paysans très pauvres possédant bien peu de têtes. De plus, l’abattage a été conduit de façon très brutale par les autorités, désireuses d’empocher la prime offerte par les Américains pour chaque cochon éliminé et sans verser son dû au propriétaire. Les cochons américains exigent une nourriture de qualité pour être économiquement rentables. Ils sont blancs et ne peuvent, en conséquence servir pour le vaudou; ils souffrent du soleil et sont trop gras au goût des consommateurs haitiens. Ce transfert de technologie fut un parfait échec. Il profita seulement aux gros éleveurs désireux d’exporter. La situation vient de connaître un redressement spectaculaire car les chercheurs français sont arrivés à reproduire, par croisements de races chinoise, française et caraïbe, un porc convenant parfaitement au paysan pauvre d’Haiti.
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, Haiti, Dominican Republic
Biodiversité : le vivant en mouvement
Encore un exemple des désastres que l’on peut produire quand on ne tient pas compte des conditions socio-économiques et de la culture des paysans dans le Sud! Encore un transfert de technologie malheureux! La situation politique particulière d’Haiti à l’époque a aggravé bien évidemment la situation. Il est réconfortant cependant de voir que, quand des chercheurs conscients de leur mission et ayant assimilé les exigences de la culture locale se mettent au travail, des miracles peuvent être accomplis et les puissances de l’argent peuvent être tenues en échec.
Titre original de l’article : "Saving Haiti’s bacon"
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MACKENZIE, Debora, IPC MAGAZINES LTD in. NEW SCIENTIST, 1993/07/17 (Royaume Uni), 1882 volume 139