Expérience d’atelier d’écriture dans la prison de femmes de Rennes
11 / 1995
Entrer en prison, pour écrire ? C’est à Rennes, ville dans laquelle je vis depuis trois ans, que j’ai eu la chance de pouvoir participer à cette expérience insolite, innovante, mais d’abord inquiétante. Au sein du groupe d’écritures créatrices qui se réunit chaque semaine depuis maintenant deux ans dans le Réseau d’Echanges Réciproques de Savoirs de Villejean-Rennes, un projet est né à l’initiative d’une participante qui est formatrice à la maison d’arrêt, où elle a également proposé un réseau d’échanges réciproques de savoirs. Créer ensemble de l’écrit, c’est, partant d’une même proposition, produire individuellement ou conjointement des textes puis se les partager en lisant chacun son propre texte au groupe.
Un réseau dans lequel on partage ses savoirs est également un groupe de personnes, qui, elles, ont pour projet déclaré d’échanger les unes avec les autres, à deux, à trois, à plus, ce que chaque personne désire transmettre d’un ou plusieurs savoirs qu’elle possède et ce qu’elle souhaite apprendre des savoirs d’autres personnes.
Le projet "écrire maintenant, ici" consistait si cela nous convenait, à organiser des rencontres d’écriture entre des membres de notre groupe et des détenues qui participaient déjà, dans le cadre de leur réseau - c’est le cas de le dire interne -, à des séances d’écritures créatrices. Quelques membres d’un autre groupe d’écriture ont également été sollicités. Dire d’abord ici que, pour nous tous, pénétrer dans un lieu inexpugnable, tabou, angoissant tel que la prison représentait à la fois un challenge et une énorme peur. Non pas à l’égard des femmes détenues et de leur possible dangerosité ou animosité à notre encontre, non je ne crois pas. Mais la peur, l’anxiété de pouvoir mesurer physiquement ce qu’est pour elles, jour après nuit, la douleur permanente de la claustration carcérale.
Ainsi "la première fois" fut-elle, sans doute pour chacun de nous une réelle épreuve, comme la traversée d’un miroir sans tain. Chaque semaine ensuite, et cela pendant une dizaine de rencontres, deux d’entre nous à tour de rôle, accompagnés de la formatrice, franchissions les sas successifs de ce pays de nulle part où les clefs ne tournent que dans un sens pour la plupart de ses habitants ; le mot : ressortissants, m’est venu. Beau paradoxe ! J’ai ainsi pu découvrir, avec une émotion presque indicible, des femmes exactement telles que je ne me les imaginais pas. A priori et fantasmes, liés à ce mot générique : PRISON, se sont vus, dans ma tête et dans mon coeur, battus en brèche d’emblée. Et avec quel soulagement ! Car j’ai, moi-même, un besoin viscéral de savoir que des fenêtres existent, partout : c’est la lumière d’abord, qui entre ; et, même par une fenêtre, on peut (s’en)sortir. Nous avons donc écrit ensemble. Et pas sur les fleurs des champs, je vous assure ! Ce sont les femmes de la prison qui ont choisi les thèmes d’écriture. Premier atelier , "boulets en tête", (les billes quant à elles étaient restées dans leurs cours de récréation): La prison. Second atelier : Maximes de vie. Troisième atelier : La claustration, débat autour du dernier livre de Michel BESNIER, écrivain invité à trois reprises à ces rencontres et participant actif de ce projet. Quatrième atelier : "Quand je ne serai plus, je serai".
Avec une de mes amies, nous nous étions dit, comme en concertation, avant la première fois : "Il ne faudra pas les impressionner, sortir notre arsenal. Il faudra faire simple." Quel orgueil ! Quel esprit colonial ! Quelle somme de préjugés ! Mais ce sont elles, qui nous ont impressionnées ! Ce sont elles qui nous ont damé le pion ! Ce sont elles qui nous ont appris à nous tenir. Car, lorsque nous écrivions, lorsque nous nous entendions - et j’emploie à dessein ce verbe à double sens, aussi beaux l’un que l’autre - lorsque nous goûtions ensemble les mots tels des gâteaux, elles nous apaisaient ; leur force, leur courage face aux grilles, leur patience résignée, leurs projets. Pour ma part, j’emmenais cela avec moi au-delà de ces portes successives qu’elles ne pouvaient franchir, cette force qu’elles me partageaient, sans le savoir peut-être, sans doute. Et aussi l’immense chagrin de ne pouvoir les emmener ou plutôt les accompagner DEHORS. Et puis encore cette peur qu’une fois là, elles rechutent comme elles le redoutent tant. Est née de ces rencontres une plaquette. Mais surtout, SURTOUT un autre regard mutuel.
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, France, Rennes
Le MRERS est une association créée par Claire et Marc HEBER SUFFRIN en 1985 et qui fonctionne sur un mode de réciprocité ouverte, chaque participant étant à la fois offreur et demandeur de savoirs. Les fiches ont été produites dans les ateliers d’écriture de ce réseau.
Original text
(France)
MRERS (Mouvement des Réseaux d’Echanges Réciproques de Savoirs) - B.P. 56. 91002 Evry Cedex, FRANCE - Tel 01 60 79 10 11 - France - www.mirers.org - mrers (@) wanadoo.fr