A Cochabamba, à Villa El Salvador, dans des villages et des banlieues du Paraguay, de Colombie et d’ailleurs, Pierre De Zutter - spécialiste de la communication en milieu rural - a aidé pendant vingt ans des quantités de groupes paysans, d’associations urbaines, de formateurs, à tirer les leçons de leur action et à échanger les savoirs. Ça lui pendait au nez : un jour, la Fondation a demandé à ce presseur de citron d’exprimer son propre jus de capitalisateur. Il l’a fait avec enthousiasme et méthode.
Pierre de Zutter ne prétend pas livrer ici un traité de capitalisation. Ses propos se limitent à l’Amérique latine, à la technique de l’écrit et à des expériences faites avec des gens qu’il a appris à connaître et à aimer : í J’ai découvert que beaucoup d’entre eux savaient expliquer plus qu’ils ne laissaient croire. Mais il y avait un blocage. Ils n’osaient exprimer ce qu’ils pensaient vraiment de peur d’être jugés, ridiculisés, parce que leurs mots et leurs concepts n’entraient pas dans la norme. (...)Comment aider à ce que l’expérience débouche en connaissance, comment l’élaborer et la formuler pour qu’elle devienne un capital au service de tous, pour qu’elle puisse être partagée ? ì
Pour Pierre De Zutter, une capitalisation n’est pas une thèse universitaire, une évaluation, la sacro-sainte sistematización latino-américaine, l’étude scientifique, la reconstruction d’histoire ou le témoignage ethnographique... Il se demande, tout simplement, qui doit réaliser et à quoi peut servir la capitalisation de groupes qui ont une habitude séculaire de la domination et de l’entourloupe. Il cite par exemple les déconvenues d’un enquêteur qui avait enregistré un dirigeant paysan, puis avait transcrit et lui avait restitué ses paroles sous une forme trop soignée. Voulait-il la corriger ou l’améliorer ? í Il me répond, raconte l’enquêteur, qu’il ne dira plus un mot. Pourquoi ? Ils savent bien, eux, que tout cela ne sera pas au bénéfice des paysans mais à celui des ingénieurs ! Je lui montre que c’est lui qui figure comme auteur, et que mon nom n’apparaît pas. Il insiste que nous, avec les ordinateurs, nous pouvons à n’importe quel moment changer le titre et l’auteur, ou que moi je peux m’en attribuer le mérite en disant que c’est ce que je leur ai soutiré. ì Cette nécessité de promouvoir un vrai travail d’"auteur-acteur" pour la formulation de connaissances qui soient vraiment utiles à l’action, on la retrouve tout au long du dossier de Pierre De Zutter, qui tient à être très précis sur les conditions d’une capitalisation efficace et respectueuse. On y trouve des affirmations de principe, mais aussi l’énumération de moyens très terre-à-terre et tout-à-fait essentiels comme l’équipement en magnéto, en ordinateurs, en personnel. La publication, le livre, la plaquette écrite sont pour lui tout autre chose que de simples débouchés du processus de capitalisation : ils structurent la pensée, motivent, construisent. L’acte d’écrire une capitalisation est pris au sérieux dans ses moindres détails : le sous-titrage, le style, le traitement de l’anecdote-respiration, la question de la narration à la première personne... L’écriture, qui sanctionne le passage de l’envie de parler à l’envie de partager, qui traumatise et libère à la fois, est pour De Zutter une véritable aventure dont il sait ici transmettre la passion.
Book
DE ZUTTER, Pierre, Des histoires, des savoirs et des hommes., FPH in. Dossier pour un Débat, 1994/07 (France), n° 35
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