Témoignages sur la sidérurgie algérienne
03 / 1996
Spécialiste de la formation de formateurs dans l’industrie, Mohamed Benguerna avait pris la mesure des difficultés rencontrées en Algérie pour réaliser des formations qui satisfassent aussi bien les stagiaires que leurs employeurs et pour intégrer les formateurs dans le fonctionnement de l’entreprise. Il observe un double malaise : d’une part, l’existence d’un décalage au niveau du contenu lui-même de la formation, avec des stagiaires expérimentés et des formateurs aux connaissances trop théoriques ; d’autre part, l’existence d’un décalage dans la forme pédagogique, avec des stagiaires souvent mûrs et des formateurs très scolaires dans leur approche. Au cours d’un séjour d’étude en France, il prend conscience que ces problèmes sont aussi ceux des formateurs français, qu’il existe là aussi un décalage entre les besoins de l’activité économique et la formation dispensée. Il observe même que ces problèmes, connus depuis longtemps, n’ont pas vraiment trouvé de solution.
Ce séjour en France lui a permis en outre de rencontrer ceux qui, de 1960 à 1990, ont été impliqués dans la formation de la main d’oeuvre industrielle algérienne, en particulier autour du complexe sidérurgique de El Hadjar, symbole de "l’industrie industrialisante" et phare des nouvelles relations franco-algériennes de la période post-coloniale. En 1991, il prend l’initiative de réunir à Paris, grâce à la FPH, quelques uns parmi les principaux protagonistes de cette aventure. Autour de ce compte-rendu de réunion se croisent sans cesse ces deux problématiques : celle de la formation dans l’industrie, d’abord, celle de l’aventure industrielle et de la coopération franco-algérienne, ensuite.
L’observation des carences de la formation renvoie en fait à des problèmes complexes, qui ne sont pas seulement de nature pédagogique. Elle renvoie à la question des formes d’organisation dans l’entreprise et des relations entre le personnel à former et sa hiérarchie. Si les cadres ne sont pas présents sur le terrain, la communication est entravée et les processus collectifs de changement - parmi lesquels la formation tient sa place - sont difficiles. Le développement des ressources humaines doit concerner tous les échelons d’une entreprise.
La formation renvoie également à la conception de l’homme et du travailleur. Trop souvent, elle se donne pour but de fabriquer des porte-outils appliquant une meilleure technique et non pas de former des hommes. L’écoute de leurs besoins est largement insuffisante. La question des motivations est également sous-estimée : pour que quelqu’un accepte de se former, il faut qu’il perçoive pour lui-même des perspectives de changement dans l’entreprise, ce qui suppose qu’il connaisse les possibilités de promotion sociale et d’avancement. La formation doit donc être accompagnée de mutations au sein de l’entreprise. De la même façon, la question des motivations des formateurs doit être mise au clair : quels sont leurs objectifs, dans quel état d’esprit travaillent-ils ? Les motivations de l’entreprise sont également à élucider : trop souvent, la formation n’est qu’une stratégie de fuite en avant, insuffisamment réfléchie.
La formation renvoie encore au problème des savoirs et des savoir-faire. En Algérie, des nombreux cadres avaient l’impression que la coopération française procédait à une classification rigide des niveaux de compétence : en haut, les savoirs des Français ; juste en dessous, ceux du reste des Européens ; après, ceux des Soviétiques, souvent dévalorisés ; enfin, tout en bas, ceux des Arabes... Toutes ces raisons ont provoqué un clivage entre la production et la formation, qui a culminé en 1970 avec une certaine prise d’autonomie des formateurs et l’importation de modèles formatifs étrangers. Formation et entreprise ont alors vécu sans véritables liens entre eux.
La formation ne peut pas être pensée indépendamment du contexte dans lequel elle se trouve, notamment des stratégies de pouvoir, du fonctionnement de l’entreprise et du processus d’industrialisation lui-même. Le mythe de l’industrie industrialisante de l’Algérie relevait en grande partie du fantasme d’élites dirigeantes qui concevaient le développement comme un choc culturel, pour lequel ils ont construit ces bulldozers que sont les complexes sidérurgiques. La reconstitution de cette histoire vieille de vingt ans par des acteurs divers, Français et Algériens, est nécessairement dissonante, mais elle permet de mieux comprendre comment il a été possible de parler d’échec à propos de ce projet ambitieux et comment on a pu arriver à la situation actuelle.
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, Algeria
Colloquium, conference, seminar,… report
FPH=Fondation Charles Leopold Mayer pour le progrès de l'homme, Formateurs, formation et industrie, FPH, 1991 (France), n° 14
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