Réflexions sur la recherche clinique et sur l’utilité des sciences sociales
12 / 1995
La science nous apporte des connaissances mais, ce faisant, elle "détruit" en quelque sorte son sujet par un double processus. D’abord, elle le morcèle et, pour mieux comprendre la partie, perd la cohérence du tout. Ensuite, quand il s’agit de l’homme, elle en fait un objet d’observation sous prétexte d’objectiver le résultat.
Il importe donc de conduire des recherches qui abordent les systèmes complexes dans leur unicité et leur complexité : un homme, un écosystème, une organisation sociale... C’est ce que réclame Philippe Servais en plaidant pour une médecine "holistique" - ou globale - qui appréhenderait l’homme dans son ensemble et en questionnant la notion de maladie.
Il importe également de donner ou de redonner aux individus et aux groupes leur statut de sujets de leur propre destin. Comment la connaissance que d’autres se font d’eux peut-elle les aider à se connaître eux-mêmes ?
Cette réflexion débouche ici sur 10 propositions, formulées par Pierre Calame, pour une autre politique de la science :
1. Définir un programme mondial de recherche sur les principaux enjeux de la société : assurer le bien-être de 10 milliards d’hommes, respecter les équilibres écologiques, repenser le développement urbain, soutenir la paysannerie...
2. Mettre l’accent, moins sur l’accumulation de nouvelles connaissances, et plus sur sa valorisation, son appropriation sociale et la communication inter-disciplinaire.
3. Mettre en place des médiations entre la recherche et les fractions les plus pauvres de l’humanité, afin de mettre enfin la science au service de l’ensemble de l’humanité.
4. Associer les bénéficiaires à la conduite des recherches, les considérer comme des sujets, non pas seulement au moment où il s’agit d’appliquer les résultats obtenus mais dès la phase d’élaboration des connaissances et la définition des axes d’investigation.
5. Cesser de considérer la rationalité occidentale comme un principe supérieur, faire l’ethnologie de notre propre science, mettre sur le même plan d’autres façons de penser l’univers.
6. Donner la priorité aux approches permettant d’aborder les individus et les sociétés comme des entités complexes et non décomposables.
7. Réorienter la formation des chercheurs et des techniciens, les préparer à une réflexion critique de la science et à une écoute des rationalités différentes.
8. Introduire la compréhension des relations homme-nature chez les jeunes enfants dès l’éducation primaire.
9. Réfléchir à l’idée de maîtrise sociale du progrès des connaissances, introduire une dimension déontologique dans la question de propriété intellectuelle et dépasser la notion simpliste de brevet qui réduit la connaissance à l’état de marchandise.
10. Supprimer les gratifications symboliques et matérielles aux chercheurs qui travaillent dans les domaines sensibles (les manipulations du vivant, l’atome...)afin de limiter la course à la découverte et les inviter à plus de prudence.
research policy, methodology, medicine, mathematics, health, epistemology, psychoanalysis, mobilization of knowledges, disciplines decompartmentalization
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Book
PORRET, Philippe, SERVAIS, Philippe, CALAME, Pierre, Au pays des hommes sujets, FPH, 1991 (France), n° 6
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