Moscou entre-temps

On pourrait faire toutes sortes d’interprétations psychanalytiques à propos de l’histoire récente de la Russie. L’agressivité, l’usage systématique de la langue de bois, la mythologie marxiste-léniniste : tout y invite les spécialistes. Mais c’est dans d’autres directions que ce livre de B. Doray et Z. Domic pousse la réflexion. En combinant des photos en noir et blanc d’un quotidien ordinaire avec les textes brefs et les commentaires décapants d’A. Etkind et de Y. Mouraviov, ce livre nous entraine du côté du lien social, des mythes collectifs, des forces inconscientes qui animent les institutions et les prises de parole politiques.

Il faut lire dans ces images - et ce n’est pas toujours facile - autre chose que la traditionnelle désespérance russe, ou ce penchant pour le tragique dont de nombreux auteurs se sont fait les chantres. La discrète ironie des textes y contribue heureusement.

Au travers de ces regards de psychanalystes sur la société et de leurs efforts pour se reconstruire comme professionnels, on saisit Moscou dans l’entre-temps des années 1987-1990, entre la chute du monde ancien et ce surprenant coup d’Etat avorté d’août 1991 qui marquera le début d’une nouvelle période politique.

C’est l’époque du gorbatchévisme euphorique. Celle où la société recherche ses marques, celle où les psychanalystes renaissent, inévitablement marqués par les transformations qu’ils vivent au quotidien. En même temps qu’un nouvelle société, ne manquera pas de naître une nouvelle psychanalyse. Cette double naissance, dans cette ville-campagne qu’est Moscou, ne peut que surprendre et émouvoir.