L’histoire du cheminement d’un programme d’aide aux populations cambodgiennes victimes de la guerre et de l’exil
06 / 1997
Le Cambodge : 20 ans de guerre, la mort pour des millions de personnes et l’exil pour plusieurs milliers d’autres. En 1991, des accords de paix sont signés à Paris. Dans le même temps le HCR met en oeuvre un plan de rapatriement pour les 362 000 réfugiés stationnés depuis près de 15 ans à la frontière thaïlandaise.
C’est à ce moment-là qu’ERM réfléchit à une intervention au Cambodge, auprès des populations retournées et déplacées. Une première mission exploratoire est alors programmée en mai 1995. Destination : 2 provinces du Cambodge. La première à Takéo dans le sud du pays. La deuxième, à Battambang dans le nord ouest proche de la frontière thaïlandaise.
Les raisons qui animaient l’équipe d’ERM à se rendre dans ces 2 provinces étaient les suivantes :
- A Takéo, ERM avait identifié un partenaire local qui était ICDH (Institut Cambodgien des Droits de l’Homme). Ce partenaire avait sollicité ERM pour travailler à des actions complémentaires aux leurs, notamment en direction de l’enfance. Pour ERM, s’agissant d’une nouvelle zone géographique d’intervention, l’identification d’un partenaire local était un atout. La situation dans cette province était il est vrai moins préoccupante que dans le nord du pays, mais les populations qui vivaient à Takéo étaient très pauvres. Durant toutes ces années de guerre elles avaient tout perdu, leurs terres, les infrastructures locales complètement détruites. Certes ces populations n’avaient pour la plupart pas connu l’exil, mais les conditions de vie dans lesquelles elles vivaient n’étaient pas si éloignés de celles des réfugiés. Ces populations avaient toutes ces années ressenti comme un sentiment d’abandon par rapport aux autres populations retournées et déplacées. Ils disaient même que l’aide internationale n’avait été qu’en direction du nord du pays et des populations réfugiées. La difficulté à laquelle nous nous heurtions était que Takéo n’était pas une zone de réfugiés, et de ce fait nous n’étions pas en conformité avec notre projet associatif.
- A Battambamg, au contraire, l’exil des populations était important, car d’une part la zone était proche de la frontière et d’autre part les conflits y avaient été très violents. Lorsque nous avons effectué la mission exploratoire dans cette province, Battambang était une zone très sensible sur le plan militaire. La situation était très instable. Outre le retour massif des réfugiés, il y avait constamment de nouveaux déplacements de populations liés à la poursuite des combats entre les différentes factions. Les populations étaient encore dans une situation de première urgence, besoins prioritaires aides alimentaires, aides sanitaires. Il y avait aussi une concentration très importante d’ONG de première urgence, pour qui l’intervention était parfois difficiles. Les conflits qui perduraient dans cette zone empêchaient des interventions quotidiennes auprès des populations sur les sites de retournés et déplacés. Néanmoins il y avait une nécessité de prise en charge des besoins psychosociaux des enfants. Mais dans ces conditions, comment était-il possible d’assurer un suivi quotidien et durable auprès des enfants? Par ailleurs le partenariat local n’était guère possible car les populations n’étaient pas dans un phase de reconstruction et de projets à moyen terme.
De retour de mission il nous fallait définir notre champ d’intervention. Face aux besoins de l’une et l’autre des provinces que pouvait faire ERM? L’intervention à Takéo présentait les atouts suivants :
- l’existence d’un partenaire local. Travailler en étant introduit auprès des populations par un partenaire local permettait ainsi une reconnaissance à ERM.
- les populations de Takéo avaient dépassé la phase de première urgence et étaient dans une démarche de reconstruction, donc des besoins d’une autre urgence. Leurs demandes étaient la prise en charge des enfants en âge pré-scolaire durant le travail des parents, l’aide à la reconstruction des structures éducatives, les écoles, l’aménagement de structures sanitaires (latrines, puits, etc...), le suivi sanitaire des enfants, et l’éducation populaire de la population sur le plan sanitaire. L’intervention d’ERM programmée dans une action constructive pourrait permettre d’envisager la pérennité de l’action. L’intervention sur Takéo avait toutefois ses limites : nous n’étions pas sur une zone de réfugiés et nous ne répondions pas aux fondements du projet associatif d’ERM tel que défini par notre charte.
L’intervention dans la province de Battambang présentait les atouts suivants :
- la grande vulnérabilité des populations et particulièrement des enfants nécessitait une prise en charges des besoins psychosociaux
- en intervenant sur cette zone nous étions au coeur des fondements de notre projet associatif
Les limites :
- Une action auprès des enfants pour être viable doit être programmée sur un suivi quotidien. Les problèmes gravissimes de sécurité dans cette zone ne pouvaient garantir ce type de suivi et pouvaient mettre en danger l’équipe d’ERM chargée de l’intervention.
- l’absence d’un partenaire local identifié ne garantissait pas le suivi de notre action
- les déplacements constants (liés au conflit)des populations n’assuraient en rien la fiabilité de notre intervention dans le court et moyen terme
- les moyens financiers de notre association ne permettaient pas d’assurer des garanties logistiques d’interventions ex. radios,...
C’est alors que nous décidions d’intervenir sur la zone de Takéo pour une première approche du pays, et de poursuivre l’exploration d’ouverture d’un deuxième programme à Battambang auprès des populations retournées et déplacées. Fin 95 nous avons donc ouvert le programme de Takéo. Les grands objectifs de notre action ont été alors une intervention directe auprès des enfants afin de promouvoir leur développement physique et mental ainsi que leur intégration dans la vie de l’école et de la communauté. Nous nous engagions à assurer la prise en charge des besoins sanitaires et la formation du personnel local pour la pérennité du programme.
C’est en travaillant sur le terrain que nous avons découvert les possibilités et les capacités des populations locales à s’investir dans le projet. Très vite nous avons senti l’enthousiasme des locaux à participer activement à la reconstruction du pays.
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, Cambodia
Ce travail nous a permis de dresser des perspectives que nous n’avions pas imaginées au départ. Dans ce pays où la grande majorité de la population est marquée par son passé, voire divisé, il était difficilement envisageable au départ de notre action que les populations restées au pays durant le conflit soient prêtes à apporter leur aide aux anciens réfugiés.
Si au départ nous n’avons pas démarré un programme conforme à notre projet associatif (intervention auprès des populations réfugiées), nous pouvons dire aujourd’hui que notre action à permis d’ajouter une goutte d’eau dans le processus d’éducation à la paix au Cambodge. La paix au Cambodge n’est-elle pas celle d’abord de réapprendre à reconstruire et à vivre ensemble, que l’on soit ex-réfugiés, déplacés ou tout simplement cambodgien ?
Original text
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