Birama SISSOKO, Marie Laure DE NORAY
09 / 1995
Depuis janvier 1991, la profession de boucher s’est fortement structurée dans le district de Bamako, avec la naissance de deux institutions clés : la coopérative et le syndicat des bouchers. Ces structures ont pour vocation de défendre les intérêts matériels et moraux et d’assurer une certaine sécurité économique à ses membres.
Si la profession de boucher n’est pas traditionnellement réservée à une caste particulière, comme il en est pour les forgerons par exemple, elle révèle cependant à l’observateur avisé des spécificités quant à l’origine ethnique et géographique de ses membres. A priori, pour qui connaît la place et la pratique de l’élevage au Mali, le métier de boucher serait du ressort des Peuls, ethnie traditionnellement tournée vers l’élevage. Très proche du bétail, on lui confère même certains pouvoirs surnaturels sur les animaux domestiques. La finalité de l’élevage est bel et bien la boucherie, et pourtant on s’aperçoit qu’à cet avant-dernier maillon de la filière viande (si on considère que ce sont les consommateurs qui en constituent le dernier maillon), le Peul disparaît. On dit qu’il aime tellement ses bêtes qu’il préfère les voir mourir naturellement que de les abattre lui-même.
Au Mali, la profession de boucher est censée être ouverte à tous, le recrutement ne dépendant pas du critère ethnique. Cependant, à Bamako, une enquête de terrain, motivée par une intuition, a montré que la grande majorité des bouchers (au total plusieurs centaines) seraient soninké d’adoption, et qui plus est, proviennent presque tous de la région de Banamba (une centaine de kilomètres au Nord de Bamako). Banamba fut jadis un marché important d’esclaves (guerriers réduits à la captivité). Les esclaves alimentant le marché et plus tard, leur descendance, constituaient donc des populations étrangères à la localité. On pouvait facilement les repérer à leur nom. Ils portaient en effet les patronymes suivants : Coulibaly, Keita, Makadji, Fofana. Les familles autochtones (qui se positionnaient en maîtres) ont, quant à elles, pour nom : Doukouré, Bathily, Diaby, Simpara. Elles appartiennent à l’ethnie des Soninké. Traditionnellement, la famille et l’origine de chaque individu déterminent son rôle dans la répartition des tâches. A Banamba, le métier de boucher était mal perçu. La viande étant un produit convoité par les sorciers, les gens avaient tendance à assimiler la profession de boucher à la pratique de la sorcellerie. Délaissée pour cette raison par les autochtones, la tâche revint donc naturellement aux « étrangers », à savoir, les descendants d’esclaves, lesquels transmirent leurs savoirs en la matière à leur fils et ainsi de suite.
Lorsque la petite bourgade de Bamako prît son essor au début du siècle pour devenir la capitale du Soudan français, les bouchers de Banamba, devenus forts nombreux, se déplacèrent vers la capitale pour venir occuper le marché -encore naissant, mais prometteur- de la viande. Il faut dire que Banamba avait perdu de sa grandeur, le marché aux esclaves ne faisant plus vraiment recette. C’est ainsi qu’aujourd’hui on retrouve dans les rangs de la coopérative et du syndicat les descendants de ces migrants. De nos jours, malgré l’instabilité de leurs revenus, ils inspirent la considération de tous, et particulièrement du Pouvoir. La viande est un mets de choix, qui n’est pas à la portée de toutes les bourses, surtout depuis la dévaluation du franc CFA (le kilo est passé de 700 à 1250 Fcfa…). Le Malien moyen ne peut s’en payer qu’occasionnellement.
Les liens historiques et géographiques des actuels bouchers de Banamba ont certainement eu un rôle important, bien que jamais exposé publiquement, dans la création même des institutions d’entraide telles que le syndicat et la coopérative. Mais intervient aussi un autre critère, certes assez proche, qu’il paraît intéressant de mettre en avant : la solidarité et le sens de l’organisation systématique des ressortissants Soninké à l’étranger (que ce soit dans une autre région du Mali ou dans un autre pays). En fait, les bouchers de Bamako ne sont pas soninké d’origine, mais d’adoption puisque, dans leurs lignées, plusieurs générations d’aïeux ont séjourné à Banamba, zone soninké. Or, quel que soit le milieu dans lequel ils s’intègrent, on observe que les Soninkés se regroupent très vite en structures modernes telles que coopératives ou associations. L’entraide, la solidarité dans l’émulation… Voilà des vertus qui se retrouvent bien souvent dans les communautés soninké. Les nombreux groupements de soninké en France, les multiples associations dans les villages de la zone soninké ne sont-ils pas autant d’exemples de réussite grâce à la volonté endogène de s’organiser ?
trade union, socioprofessional organization, ethnic minority, ethnic group, community organization, collective identity, cooperative
, Mali, Bamako
Les bouchers de Bamako ont entre eux des liens très forts : une origine, un statut historique et, bien sûr, un métier communs. Ils sont le fruit d’une double migration puis que leurs aïeuls ont d’abord migré, en tant que captifs, vers Banamba, puis prenant l’habitude soninké de l’exode à caractère économique, se sont déplacés vers Bamako, alors en pleine expansion, pour monopoliser la profession de boucher. On peut peut-être expliquer la solidarité qui règne au sein de la profession par cette double origine commune. A travers la réussite de leur syndicat et de leur coopérative, les bouchers du district de Bamako ne montrent-ils pas le poids que peut avoir l’appartenance ethnique dans la formation de groupements socio-économiques viables ?
Cette fiche a été réalisée sur la base d’une enquête effectuée en 1995. L’ensemble dans lequel elle s’inscrit a fait l’objet par la suite d’une publication séparée, sous le titre : On ne ramasse pas une pierre avec un seul doigt : organisations sociales au Mali, un apport pour la décentralisation, FPH; Centre Djoliba, juillet 1996. S’adresser à la Librairie Fph, 38 rue Saint-Sabin, 75011 Paris.
Inquiry
« Syndicat et coopérative des bouchers de Bamako », B.Sissoko, 1995
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