10 / 1999
L’administration coloniale recrute, en 1912, au Soudan français, actuel Mali, pour l’école de Bandiagara, "deux garçons de bonne famille". La demande est transmise par le commandant de cercle, Camille Maillet, au chef traditionnel de la ville, Alfa MakiTall, fils de roi. Les chefs de quartiers se réunissent pour identifier le quartier "dont le tour était venu de fournir des écoliers". Un chef de quartier, ennemi du tuteur de Hampâté Bâ décide de se venger l’obligeant à envoyer ses deux pupilles à l’école: "’Ce qu’ils apprendront à l’école des blancs les amènera à renier leur foi; ils deviendront des mécréants et des vauriens, ils seront mis au ban de leur société!’". Refusant de donner deux frères à l’école française, le chef du village décide d’envoyer son propre fils et parmi les deux frères, il choisit celui qui est le moins avancé dans les études coraniques, dans un souci évident de conserver le meilleur pour leur culture. Le choix tombe sur Hampâté Bâ. Il est à noter le geste du chef du village, compte tenu qu’il appartient à une famille traditionnellement ennemie (les Tall, descendants de El Hadj Omar)de celle de notre enfant.
Le commandant vante aux enfants les bienfaits de l’école: "Tu apprendras à lire, à écrire et à parler le français, cette belle langue que tout fils de chef doit connaître parce qu’elle permet d’acquérir le pouvoir et la richesse". Le fils du chef réplique: "Je préfère mourir plutôt que d’aller à l’école ... Je veux retourner à l’école coranique." Hampâté Bâ tient un autre discours, il veut aller à l’école: "je veux devenir chef pour échapper aux insultes et aux tracasseries du (chef du quartier)et pour parler au commandant sans interprète".
La réaction de sa mère est de tenter de le racheter (pratique courante), mais le marabout, Tierno Bokar, le sage de Bandiagara, citant le Prophète, la conseille: "’Cherchez la connaissance du berceau au tombeau, fût-ce jusqu’en Chine’".
Après un an d’école Hampâté Bâ est envoyé à l’école régionale de Djenné pour préparer le certificat d’études primaires indigènes. Ceci est une nouvelle terrible pour la famille. Ils seront 16 en tout, venant de Bandiagara et de Mopti. "M. Baba Keita (le directeur)c’était le modèle même du grand ’Blanc-Noir’, ... il poussait le raffinement jusqu’à se moucher dans un morceau de toile dans lequel il enfermait soigneusement ses excrétions, avant de les enfouir, sans doute pour ne pas les perdre, au plus profond de sa poche." Il obtient son certificat d’études en 1915 et il prend la fuite, sans attendre l’affectation que lui donnerait l’administration, soit l’internat de l’école professionnelle de Bamako, soit un emploi subalterne à l’administration. Il avait 15 ans. C’est le retour à la famille, aux associations de camarades d’âge, la circoncision. A 17 ans il retourne à l’école, mais ayant fui auparavant, il doit reprendre l’cole primaire et refaire le certificat d’études.Il veut être normalien, aller à à une des grandes écoles de Gorée. Il est admis.
La mère refuse la poursuite des études: "Tu as bien assez étudié le français comme cela, il est temps pour toi d’apprendre à devenir un vrai Peul", lui dit-elle; et il refuse d’aller à Gorée.
Le refus n’est pas accepté par l’administration: "Si tes parents s’y opposent, je mettrai ton père et ta mère en prison." "A une époque où le simple fait d’avoir omis de saluer le commandant ou le drapeau était un motif d’internement administratif, il n’était pas question pour un ’sujet français’ de désobéir." Il est finalement envoyé cotre sa volonté à Ouagadougou, plus loin que jamais de sa famille, avec un emploi de bureau.
colonization, cultural identity
, Mali, Soudan français, Bandiagara
Un exemple parmi d’autres, raconté par une plume remarquable de comment l’école française, à l’époque de la colonie peut-être assimilée, par la forme de recrutement qui est le sien, au travail forcé; le "sujet français" est requisitionné au même titre qu’un troupeau.
Egalement, comment quelques Africains profitent de l’administration coloniale pour règler leurs disputes internes.
Amadou Hampâté Bâ, homme passerelle entre l’Europe et l’Afrique met en valeur sa triple éducation, française, coranique et villageoise pour remplir à merveille cette fonction.
Titre du livre: "Amkoullel, l’enfant peul". Voir thèse T.B., entretien Sonja (sept 92), alphabétisation.
Book
HAMPATE BA, Amadou, ACTES SUD, 1991/09 (France)
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