04 / 1996
La médiation recouvre aujourd’hui les expériences les plus diverses. Simple adaptation de l’institution à une nouvelle procédure, elle peut aussi constituer un champ d’expérimentation du tissu associatif dans les quartiers. Justice étatique ou justice citoyenne ? Jean-Pierre Bonafé-Schmitt plaide pour le développement de contrats sociaux pour régler les conflits de proximité.
La médiation n’est pas une simple technique de gestion des conflits, comme l’arbitrage ou le jugement. Derrière la médiation il y a, à mon sens, l’émergence d’un mouvement social. C’est un élément de réponse à la crise non seulement du système judiciaire mais aussi de l’ensemble des systèmes traditionnels de régulation des conflits, que ce soit la famille, l’école, le quartier, l’Eglise, etc.
Il est vrai que la médiation pénale n’est souvent que la transmission de dossiers de la justice vers des médiateurs qui sont, en quelque sorte, des sous-traitants de l’institution judiciaire. L’individu a encore trop tendance à faire appel à l’Etat pour régler ses litiges. Il faut essayer de modifier ces comportements. Par exemple, dans un couple où l’un hausse le ton, plutôt que d’appeler la police ou de s’en remettre à la justice, on peut chercher à résoudre le conflit soi-même. Si ce n’est pas possible, on devrait pouvoir faire appel à un tiers. Autrefois c’était le grand père, le voisin, le curé, le maître d’école. Maintenant, cela peut être des lieux de médiation où l’on règle les conflits du quotidien. Il y a une demande qui touche progressivement tous les domaines de la vie sociale.
La mise en place de ces nouvelles structures n’est cependant pas simple. Il y a des résistances chez les professionnels. Si une petite minorité y est favorable, une large majorité est indifférente et le reste s’y oppose. Les institutions ne voient pas toujours l’intérêt de développer ce type de structures qu’elles vont devoir financer. Ainsi aux Etats-Unis sous la présidence de Carter, une loi fédérale avait été votée pour soutenir les expériences de médiation communautaires, mais l’administration de Reagan, à la suite, n’a pas repris ce texte. Cela a entraîné d’énormes difficultés pour la survie de ces initiatives. Nous le constatons en France aussi, ces structures sont fragiles. Elles dépendent souvent de subventions étatiques ou de collectivités locales. L’Etat s’y intéresse par le biais de la Délégation Interministérielle à la Ville.
"L’esprit de compromis n’est pas une attitude spontanée"
Il y a aussi des résistances du côté des individus eux-mêmes. On garde des réflexes de vengeance, de violence. C’est souvent le modèle gagnant/perdant qui prévaut, dans les relations propriétaire-locataire, employeur-salarié, ou autres. Pour retrouver ses droits on nie les droits de l’autre ou on exige sa punition. L’esprit de compromis n’est pas une attitude spontanée. Cela demande un apprentissage. Pour passer d’un modèle conflictuel comme le système judiciaire à un modèle consensuel comme la médiation, il faut certes des médiateurs et des financements, mais il faut aussi un changement des mentalités. Actuellement sur l’ensemble des médiations proposées, une des deux parties refuse le processus dans 50% des cas. Il faut donc être prudent en matière de statistiques sur le taux de réussite de la médiation. Ce n’est que sur les 50% de cas où les parties acceptent la médiation que l’on arrive à des taux de succès qui tournent autour de 60 à 80%.
Pour beaucoup il n’y a pas de justice hors de l’institution judiciaire. C’est la justice rendue au nom du peuple français par des juges et des lois produites par des députés. C’est un système de délégation. La médiation au contraire associe directement les intéressés à la recherche de solution. C’est un mode de résolution des conflits qui passe par la création de normes, par la production de contrats entre les individus. Face à la société centralisée, globale, avec une seule loi valable pour tous et une institution pour la faire respecter, il est possible de développer des systèmes de régulation, des conventions collectives qui, à côté de la loi, créeront d’autres types de normes. Nous devons tendre vers une pluralité des voies de résolution des conflits où la justice ne serait qu’une de ces voies. Pourquoi ne pas imaginer en matière de production de normes, une loi-cadre et une multiplicité de conventions collectives, de contrats permettant une meilleure prise en compte de coutumes, d’usages,... Cela permettrait de s’adapter aux conditions locales et aux évolutions d’un système social en mutation. Le rôle des Quakers et des Mennonites
Dans plusieurs pays européens et anglo-saxons, les mouvements pacifistes et non-violents utilisent la médiation comme mode de régulation des conflits. En effet, la médiation est un mode non-violent. Aux Etats-Unis, au Canada et en Grande-Bretagne, les Quakers et les Mennonites (1)en sont les précurseurs. Ils sont à l’origine du développement de la médiation et notamment dans le domaine pénal. Ils prônent en particulier la médiation-réconciliation. Cela consiste à mettre l’accent non seulement sur l’octroi de dommages et intérêts pour la victime, mais aussi sur les rapports entre la personne mise en cause et la victime. S’il n’y a pas une volonté de rapprochement de la part des deux parties, la médiation n’est pas possible. La médiation implique un travail sur la relation à l’autre.
Lors de la Conférence Européenne pour la Paix et la Résolution des Conflits qui s’est tenue en Turquie en avril 1992, j’ai pu constaté que les mouvements de paix allemands essayaient de développer toutes les techniques de résolution des conflits : arbitrage, négociation, médiation... pour essayer sur un plan national et international de donner aux pays des moyens de gestion des conflits, qu’il s’agisse de conflits interpersonnels, structurels, ou entre nations.
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, France, Europe
Jean-Pierre Bonafé-Schmitt est l’auteur du livre "La médiation, une justice douce", Editions Syros-Alternatives, 1992. Animateur du Réseau des Médiateurs Associés(31 Avenue de Saxe, 69006 Lyon), il a écrit également de nombreux articles sur le sujet et notamment "Retisser des liens sociaux" dans "La Médiation", dossier hors-série de Non-Violence Actualité paru en mai 1993. Cet article a été réalisé à partir d’un entretien avec Yvette Bailly et Alain Véronèse.
(1)Mennonites et Quakers sont deux courants du protestantisme. Sur les Quakers, lire NVA de décembre 1992.
Entretien avec BONAFE SCHMITT, Jean Pierre
Articles and files ; Interview
BAILLY, Yvette; VERONESE, Alain in. Non violence actualité, 1993/09 (France), 172
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