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dialogues, proposals, stories for global citizenship

Le mépris des intellectuels envers les paysans, paysannes, serait-il en train de s’effacer au Sénégal ?

Bernard LECOMTE, Brigitte REY

11 / 1996

Demba Keita, chargé de la coordination des programme de l’APRAN (Association pour la Promotion Rurale de l’Arrondissement de Nyassia)

"Quand je suis revenu, après deux années sans travail à Dakar, j’ai retrouvé ma mère en train de diriger le groupement du village de Mahamoude. Elle a bien l’habitude, sur le plan pratique et elle a le pouvoir de diriger ce mouvement. Il faut dire que nous, les intellectuels (Demba Keita a fait l’école jusqu’au niveau de la 3ème)et certains techniciens, nous pensions vraiment que le paysan ne connait rien. Pour moi, ma mère c’était quelqu’un qui peut seulement "consommer". Les paysans sont là pour exécuter. C’est un peu l’idée que j’avais quand je suis revenu !

Quand je me suis introduit dans le groupement, j’ai vu que là il y a quelque chose, que l’on peut tirer beaucoup de leur expérience, qu’on peut se former sur les plans du renforcement de la solidarité, de la cohabitation entre les membres de l’organisation de certaines activités et du respect des uns et des autres. J’ai appris cela. Alors moi-même, j’ai "changé de disquette" ! Et je m’oppose désormais à ceux des encadreurs et des techniciens qui ne veulent pas chercher à connaître ce que le paysan sait pour seulement mettre en place leur propre programme, y compris leurs programmes de formation ! Il faut qu’ils changent de comportement : le paysan est quelqu’un qui connaît.

Actuellement au niveau des CER, des écoles de formation de Ziguinchor et des chercheurs, il y a des techniciens que j’apprécie. J’apprécie leur façon de faire. Peut-être ont-ils changé parce qu’il y a une nouvelle politique mise ne place par l’Etat. Je vois qu’ils "s’approchent trop" du paysan; là, tu sens en eux vraiment qu’ils pensent que la démarche qu’ils utilisaient avant n’est pas la bonne, qu’il faut collaborer, réfléchir ensemble. Je pense qu’ils ont beaucoup échoué dans la vulgarisation de certaines techniques. Ils ont vu qu’avec leur système de pensée (que le paysan doit être un exécutant)cela n’a pas marché. Tout ce qu’ils ont voulu introduire comme techniques au niveau du paysan n’a rien donné. Les paysans laissaient de côté ce que les techniciens apportaient et continuaient à pratiquer leurs façons de faire (surtout dans ma région).

Je pense que c’est à partir de l’analyse de cette difficulté-là qu’ils ont changé de comportement pour chercher à combiner les deux pratiques; celle des paysans et la leur. Si je prends le cas de notre union, ils voient que les gens ont mis en place des choses pratiques. Ils acceptent de discuter. On les utilise maintenant pour animer certains ateliers, pour renforcer un peu ce que nous faisons. Ce n’est pas facile.

Par les échanges qu’on a organisés entre groupements des différentes associations paysannes de la région, on s’est rendu compte qu’on a beaucoup de connaissances. On essaye d’utiliser et de développer ce que le paysan connait. Et si il y a des choses qui manquent, on fait appel à des techniciens et des chercheurs pour combler ces lacunes-là. Mais d’abord on s’appuie sur ce que nous connaissons. Par exemple, dans les blocs maraîchers notre animateur s’appuie sur la lutte traditionnelle contre les insectes (utilisation des feuilles de neem, la cendre, etc.)".

Et si il y a un "technicien qui est devant", ce n’est pas du tout facile. Si l’on veut qu’une technique soit utilisée au niveau des groupements, il faut associer vraiment les deux parties. Il faut mettre à côté de ces techniciens des animateurs-paysans pour que les groupements soient motivés pour pratiquer ces choses-là. Mais si ce sont les techniciens, seuls, qui vont sur le terrain, les gens vont dire : "Ceux-là sont revenus pour nous faire consommer ou nous imposer des choses".

Key words

farmer, countryman farming, reflection and action relations, technician and farmer, countryman knowledge, traditional knowledge enhancement


, Senegal, Ziguinchor

Comments

"Pour moi, ma mère, c’était quelqu’un qui ne pouvait que consommer (les savoirs)!", dit notre interlocuteur. Lui, a quitté l’école secondaire à la sortie de la 3ème. Il a découvert les savoirs et les savoir-vivre de ses parents paysans en revenant de la ville après l’échec de son exode. Il décrit sa propre conversion et constate qu’il n’est pas le seul intellectuel à changer de disquette.

Notes

Interview de Demba Keita par Bernard Lecomte, Bonneville, mars 1996

Entretien avec KEITA, Demba

Source

Interview

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