02 / 1996
Philippe Prigent a été salarié et secrétaire général de l’Association pour le développement des activités maritimes (CEASM)pendant sept ans. Il a notamment mené une mission d’identification en Ukraine pour développer l’élevage de moules.
"En 1988, le CEASM a organisé un voyage d’études de deux semaines aux USA pour des ostréiculteurs français. Une publicité de ce voyage a paru dans un magazine spécialisé, "L’ostréiculteur français", auquel était abonné un chercheur russe comme je l’ai appris ensuite. En effet, ce dernier m’a écrit d’Ukraine car il était intéressé par le voyage mais ne disposait pas de devises pour y participer. Il me demandait de l’aider. A partir du moment où je me suis mis en tête de le faire venir, j’ai pensé qu’il fallait qu’il profite de son passage en France pour y visiter des sites aquacoles. Il fallait rassembler 50 000 francs. J’ai sonné à la porte de plusieurs Ministères mais ils ne m’ont pas pris au sérieux. De proche en proche, je suis tombé sur la Fondation pour le progrès de l’homme (FPH)et le projet a été accepté. Nous avons donc pu faire venir ce chercheur en France. Dans les administrations à Paris les gens étaient très réticents, nous avons même eu la visite des renseignements généraux au CEASM. Aux USA, pendant deux semaines, nous avons eu l’occasion de discuter et d’élaborer un projet de séjour d’étude de professionnels français en Ukraine et un projet de coopération. Malheureusement, le séjour a été annulé en raison de la désindexation du rouble. Nous avons pourtant effectué une mission financée par la CEE avec Pierre Mollo, formateur en aquaculture, et un expert spécialisé dans l’appui aux petites entreprises. Le projet formulé n’a pas été retenu parce que le sud de la Russie n’était pas à l’époque une zone prioritaire pour la CEE. Une deuxième mission, en 1993, nous a permis de mettre sur pieds un deuxième projet. Nous attendons actuellement une réponse pour recevoir des fonds décentralisés de l’Europe.
Entre les deux missions, en quatre ans, nous avons pu constater que la situation s’était dégradée considérablement. Des chercheurs qui gagnent 5$ par mois (alors qu’il faut entre 300$ et 500$ pour vivre décemment)utilisent leur voiture de fonction pour faire le taxi et arrondir les fins de mois. Nous avons été très surpris par l’adaptabilité de nos interlocuteurs. Ils nous trouvaient toujours la personne ressource adéquate quand nous en avions besoin, n’hésitant pas à la faire venir de Moscou ou de Kiev. Après une discussion, nous signions un protocole. C’est à la fois très formel et ça n’a aucune valeur. Entre ces deux missions, nous avons pu voir certains interlocuteurs progresser dans la hiérarchie très rapidement et nous en avons conclu qu’aujourd’hui, dans ce pays, sont propulsées sur le devant de la scène des personnes qui parlent plusieurs langues et qui ont quelques contacts à l’étranger. Pour moi, c’est un des effets de l’aide étrangère.
Dans ce contexte, on a donc clairement fait savoir que nous souhaitions travailler avec quelques personnes en qui nous avions confiance. Le projet repose sur la mise en place de deux ou trois entreprises pilotes qui sont aussi des centres de formation, des lieux où peuvent se rencontrer des chercheurs et des futurs producteurs. Actuellement, une grosse partie de la production (100 tonnes)est transformée en hydrolisat qui sert de médication principale pour les enfants victimes de l’irradiation de Tchernobyl. Je ne suis pas du tout compétent pour déterminer l’efficacité de ce liquide mais les Russes nous ont montré toute une série de publications pour la prouver. Ils fondent beaucoup d’espoir sur ce médicament et espèrent atteindre une production de 10000 tonnes. Ils ont également mis au point des machines qui peuvent fabriquer de nombreux produits transformés : caviar de moules, chips de moules, beignets de moules, salades de moules. Cela donnerait certainement des idées aux mytiliculteurs français ! Les Ukrainiens veulent aussi implanter des élevages dans l’embouchure du Danube pour dépolluer les eaux (la moule est un mollusque filtreur). Nous leur avons expliqué que s’ils vendent l’idée d’un mollusque fossoyeur, les consommateurs n’achèteront pas de moules ne sachant pas où elles ont été élevées. Les analyses faites par Ifremer pendant une coopération scientifique avec les Russes montrent que le seul endroit propice à la mytiliculture se trouve au Sud de la Crimée. La sensibilisation au marché, au marketing, aux normes sanitaire fait partie intégrante de notre projet. Nous avons aussi réservé des fonds pour que les producteurs soient dotés d’un outil juridique car les conditions d’exploitation de concessions en mer sont extrêmement floues, et les producteurs ne peuvent pas prendre le risque d’investir s’ils ne sont pas sûr de garder leur exploitation.
Les financeurs français nous ont dit : "Faites une mission mais assurez-vous qu’ils ne vont pas produire des coquillages qui vont torpiller le marché français". C’est un combat d’arrière garde. Avec ce raisonnement, on devrait mettre des barrières douanières autour de tous les pays. Nous nous sommes beaucoup investis dans ce projet, nous avons noué des contacts avec des gens, élaboré des projets ensemble et c’est décourageant de voir que depuis notre première mission, en 1989, rien n’a été fait. On peut d’ailleurs se demander si cette mission avait sa raison d’être car nous avons découvert après que les critères d’éligibilité prioritaires étaient déjà définis. Nous avons été financés par les institutions qui étaient sensées être informées. Personnellement, je ne suis pas du tout à l’aise par rapport à nos partenaires russes aujourd’hui. Ils nous ont accueillis et nous ont pris en charge sur place car les règles de coopération avec l’ex-Union soviétique veulent que les experts soient complètement pris en charge à partir de leur arrivée à Moscou. Payer des missions d’identification s’il n’y a aucune volonté de concrétiser un projet derrière ne sert à rien. Cela permet de dire : "Nous avons dépensé 500 000 francs au titre de la coopération avec l’Est". Mais il ne faut surtout pas regarder où est allé l’argent. Il est retourné à 95% en Europe pour payer des consultants. Il est clair que si on me demande de faire une troisième mission, je refuserai. Ca ne sert à rien."
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, Ukraine
"Aujourd’hui, le projet n’a pas vu le jour mais on a quand même réussi à faire venir Valentin Colodoff pendant un stage de quatre mois au CEMPAMA, centre de formation en aquaculture à Beg Meil (Bretagne)."
Entretien réalisé par Sophie Nick au CEASM dans le cadre de la capitalisation d’expérience de cette association.
Entretien avec PRIGENT, Philippe
Interview
CEASM (Association pour le Développement des Activités Maritimes) - Le CEASM a arrêté ses activités en 2001. - France