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dialogues, proposals, stories for global citizenship

Un échange de compétences entre experts du Sud et du Nord lors d’une étude du secteur de la pêche en Afrique australe

Sophie NICK

02 / 1996

Philippe Prigent a été salarié et secrétaire général de l’Association pour le développement des activités maritimes (CEASM)pendant sept ans. Au cours d’une mission d’identification en Afrique de l’Est financée par la CEE, il a collaboré avec des experts locaux.

- L’expert local peut faire écran. "Lors du travail d’enquête, les "populations cibles" sont toujours assez difficiles à atteindre. Il faut se bagarrer en permanence pour imposer ses vues aux experts locaux car ils pensent savoir parfaitement où sont les problèmes et ils font écran entre les experts occidentaux et les bénéficiaires. Les experts locaux ont ainsi tendance à parler à leur place, à dire ce qu’ils pensent. Ils ne sont pas loin de penser que la mission pourrait se faire avec eux comme seul interlocuteur. Ils connaissent effectivement leur pays, le schéma directeur des pêches, mais nous voulons prendre le temps de parler avec les gens, boire le thé, poser des questions bêtes : "Alors, ça marche la pêche en ce moment?...Les marchands vous payent bien? (en général, ils disent toujours non)... Ils viennent souvent?". A partir de ces petites interrogations, nous avons généralement une autre idée derrière la tête, nous cherchons à reconstituer le fonctionnement de la filière en recoupant les informations. Quand nous sommes introduits par une personne reconnue comme un administrateur des pêches, cela peut faciliter les choses ou, au contraire, biaiser les rencontres parce que les interlocuteurs ne peuvent pas toujours parler librement face à quelqu’un de l’administration. Le fait d’être plusieurs experts européens permet de parer ce genre d’inconvénient en menant chacun une investigation différente et en confrontant ensuite nos points de vue."

- L’indépendance des experts. "Surtout s’il est issu de l’administration, un expert local peut parfois nous aiguiller sur des problèmes afin que d’autres que lui puissent en parler. Ceci était particulièrement flagrant au Soudan où des sociétés mixtes (capitaux privés et capitaux d’Etat)sont quasiment les interlocuteurs obligés des producteurs pour l’achat et le transport de poisson. Cela procure certains avantages comme le stockage des denrées quand il y a surproduction mais ces coopératives ont une situation de monopole dans le commerce du poisson. Leurs infrastructures étant payées par l’Etat, elles concurrencent de façon déloyale les marchands privés et contribuent à faire chuter les prix. Certaines d’entre elles ont même la stratégie délibérée de mettre en faillite les commerçants. Ce système va à l’encontre du bénéfice des producteurs. Nos accompagnateurs nous ont montré cet aspect du marché soudanais en orientant nos rencontres. Ils ne pouvaient pas nous en faire part directement car sous peine d’entrer directement en conflit avec l’administration. Une de nos propositions a donc été de favoriser l’accès au crédit pour les petits commerçants.

Nous bénéficions d’une aura que n’a pas un professionnel local. Le directeur des pêches d’un pays aura tendance à croire plus volontiers un expert européen que son administrateur de terrain même s’il lui dit la même chose. C’est un phénomène classique."

Ce programme régional sera relayé dans chacun des six pays par un correspondant qui sera un expert national. Nous avons imposé qu’il soit détaché de l’administration s’il en est issu et qu’il soit révocable à tous moments. L’efficacité et la compétence primera et non les réseaux relationnels. Il me semblerait également totalement néfaste que des organisations comme le CEASM dépende d’une institution. Nous l’avons été pendant un moment avec des subventions du Ministère de la mer et cela a été l’une des raisons de nos difficultés. Un expert seul ne peut pas exister, il doit être à la fois connecté à d’autres et indépendant financièrement et politiquement. Pour les experts du Sud, la problématique est la même."

- La méthode de travail. "Quand nous rencontrons des interlocuteurs, nous avons l’habitude de récapituler par écrit l’entretien, le lendemain ou l’après-midi même, afin d’acter l’accord de l’ensemble des parties concernées. C’est une méthode de travail qui n’est pas du tout pratiquée en Afrique de l’Est où les accords restent verbaux et se perdent souvent faute d’avoir été écrits. Cela génère une perte de temps et d’énergie. Tout le monde était très impressionné parce que nous avions des ordinateurs portables mais ce n’est pas une question de matériel, c’est une question de méthode. Cela a eu un côté formateur pour les experts locaux avec qui nous travaillions."

- Réactualiser les connaissances. "En Ethiopie, nous avons rencontré des représentants locaux de l’administration, des groupes de pêcheurs et nous leur posions des questions auxquelles l’expert local avait déjà répondu. Au début, il s’en est un peu offusqué mais cela lui a donné l’occasion de se rendre compte que tout n’était pas forcément comme il le croyait. Il n’était pas allé sur le terrain depuis plus d’un an. D’Addis-Abeba, il maîtrisait mal la complexité de la situation locale."/ - Un échange de compétences professionnelles. "Notre temps sur place étant limité, les experts locaux nous on fait bénéficier de leur expérience sans laquelle nous aurions forcément fait des erreurs. Leur connaissance du terrain nous a toujours été précieuse. Ils nous ont fait gagner un temps considérable. Le fait que nous leur soumettions nos conclusions permettait encore une dernière fois de recadrer les propositions, d’être cohérent. Quand ils n’avaient pas d’avis précis sur une question, nous proposions de faire un test pendant quelques mois et de laisser tomber si ça ne marchait pas au lieu de dépenser de l’argent pendant quatre ans sur un projet inutile."/ - Favoriser l’expertise locale par l’information. "Il faut développer absolument l’expertise locale. Généralement, les experts locaux existent mais il faudrait favoriser leur capacité à rester en contact avec leur environnement et l’économie mondiale. Pour la pêche, c’est particulièrement important. Nous avons des exemples d’organisations professionnelles qui commencent à agir comme des experts dans leur domaine (comme Aboubacar Doucouré de l’ONG sénégalaise Défi-Sud)à partir du moment où ils sont informés de la réglementation internationale des marchés ou qu’ils acquièrent des outils d’expression pour ne pas hésiter à parler devant un Ministre. Souvent, cette expertise n’est pas soutenue et cela peut donner l’impression aux experts étrangers qu’elle est nulle et qu’il n’y a qu’eux qui sachent faire."

Key words

fishing, sea, consultant, know how enhancement, cooperation, South south relations, training


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Comments

"Pourtant, à terme, l’expertise locale prendra complètement le relais de l’expertise étrangère."

Notes

Entretien réalisé par Sophie Nick au CEASM dans le cadre de la capitalisation d’expérience de cette association.

Entretien avec PRIGENT, Philippe

Source

Interview

CEASM (Association pour le Développement des Activités Maritimes) - Le CEASM a arrêté ses activités en 2001. - France

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