02 / 1996
Pierre Herry est depuis plus de vingt ans secrétaire général du CEASM. Il travaille notamment sur un programme régional pour la valorisation des produits de la mer à l’échelle de seize pays d’Afrique de l’Ouest. Il raconte comment s’est créée l’ADEPA, agence d’exécution de ce programme.
"La CEE avait confié à un bureau d’étude anglais le soin de faire une consultation dans les pays d’Afrique de l’Ouest pour voir les chantiers les plus urgents à mettre en oeuvre dans le domaine des produits de la mer. Ca a été un échec. C’est toute la démarche qui n’était pas correcte. Le schéma d’organisation ne tenait pas la route et les directeurs des pêches ne se retrouvaient pas dans le programme proposé. Il n’y avait aucun consensus et aucune réflexion méthodologique. La question à résoudre était : comment arriver à un processus de décision à partir d’un travail de base. Je ne critique pas pour autant ce bureau d’étude parce que nous avons aussi fonctionné de la même façon à une époque. On ne peut pas, en trois ou quatre jours, rencontrer une organisation professionnelle, un institut technique, des directeurs des pêches et arriver à une programmation en agglomérant la perception globale perçue au cours des consultations. La CEE a nommé un "comité des sages" de cinq directeurs des pêches de pays d’Afrique de l’Ouest et a demandé au CEASM de reprendre cette étude. Cet échec a eu au moins le mérite de provoquer une discussion. On a proposé une phase test qui a duré deux ans, on a pris le temps d’examiner quelle pouvait être la meilleure méthodologie. J’ai consulté toutes les ONG, un programme d’activité s’est développé peu à peu. Ca a été débattu, il y avait au moins une cohérence dans les propositions. La gestion du projet a été prise en mains par un collectif d’ONG, l’ADEPA.
L’élément majeur de la création de l’ADEPA était d’avoir une équipe d’hommes, responsables d’ONG notamment, ayant une expérience en matière de développement maritime ou rural. L’essentiel était de constituer un noyau compétent pour assurer le lancement du programme régional suite à la "phase test" que nous avions menée pendant deux ans.
J’ai vu individuellement chaque responsable d’ONG travaillant dans le secteur maritime ou rural en Afrique de l’Ouest et trois ont accepté : Crédit Union Association (Ghana), Credetip (Sénégal)et Inades Formation (Côte d’Ivoire). Un des problèmes a été le manque d’expérience d’Inades Formation dans le secteur maritime mais nous sommes tombés d’accord sur le fait que l’expérience en développement local était prépondérante. Cette association est de plus la tête d’un réseau qui rayonne sur 12 ou 13 pays en Afrique de l’Ouest. Ces trois institutions ont en commun la même conception du développement local que le CEASM, la volonté de tout mettre en oeuvre pour promouvoir les organisations professionnelles. Notre philosophie commune repose sur l’idée que la promotion d’une économie nationale, voire régionale, repose sur la pérennité des emplois des petites et moyennes entreprises formelles ou informelles. Nous souhaitons contribuer au renforcement des économies locales en oeuvrant à la professionnalisation des secteurs maritimes et ruraux pour leur permettre de faire face à la modernité. Sans un travail qui vient conforter ce que les collectivités paysannes ou maritimes veulent mettre en chantier, il n’y a pas de développement durable possible. C’est un point majeur car, habituellement, beaucoup de pays africains ont une économie dirigée, tout au moins encadrée par les services de l’Etat. Notre optique est au contraire de faire en sorte que les organisations soient reconnues comme partenaires et puissent accéder à tous les débats concernant les politiques rurales et maritimes, à la programmation des projets et à leurs évaluations, à parité avec les agents de l’administration.
Que l’agence d’exécution de ce programme soit un collectif d’ONG (trois africaines et une française, le CEASM), n’était pas une proposition que les représentants des Etats avaient l’habitude d’entendre. Ceux-ci pouvaient se sentir dépossédés de certaines prérogatives, notamment en matière de définition des politiques et surtout en matière de contrôle sur les fonds mis à disposition par les bailleurs et gérés par l’ADEPA. Les fonds sont alloués par la CEE en fonction de la programmation établie sur la base des propositions des organisations de producteurs. Nous sommes ainsi certains que les financements vont bien répondre aux besoins. Mais, du point de vue des Etats, c’est une façon de les priver des moyens d’actions qu’ils ont sur les populations maritimes même si ce sont eux qui ont le pouvoir d’accepter ou non les fonds de la CEE. Il faut en effet qu’il y ait un accord préalable des Etats, sinon le programme ne voit pas le jour. On a donc organisé un séminaire avec tous les directeurs des pêches en 1992 pour qu’ils se prononcent. Ca s’est joué à une ou deux voix près. On avait heureusement le soutien de la CEE qui a défendu notre perspective. Les seize pays avaient élu un ordonnateur régional parmi l’un d’entre eux et c’est la Sierra Leone qui a été choisie grâce à une coalition des petits pays pour s’opposer aux gros comme le Sénégal et la Côte d’Ivoire qui remportent généralement ce genre de vote. Nous avons donc eu la chance d’avoir un "ordonnateur" remarquable en la personne de Marc Bailey. Finalement, il y a eu une conjonction de volontés pour faire aboutir ce dispositif.
A la suite de cette réunion, Luc Coffi, directeur des pêches de Côte d’Ivoire, s’est trouvé chargé de consulter les représentants des seize pays pour qu’ils nomment les hommes qui allaient constituer le comité de suivi sur la base suivante : deux francophones, deux anglophones et un lusophone. Ca n’a pas été une tâche facile. Certains représentants ont essayé d’arrêter le processus en objectant que le mode de décision n’était pas conforme à la norme. Mais finalement, le comité de suivi s’est quand même constitué."
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, West Africa
"J’ai tenu à ce qu’il y ait toujours une très grande transparence, à la fois sur la gestion, l’organisation et les partenaires. Cela a permis au débat d’être serein, bien que fort par moments. Chaque étape a pu être franchie sans trop de retard."
Entretien réalisé par Sophie Nick au CEASM dans le cadre de la capitalisation d’expérience de cette association.
Entretien avec HERRY, Pierre
Interview
CEASM (Association pour le Développement des Activités Maritimes) - Le CEASM a arrêté ses activités en 2001. - France