Bande côtière s’étendant de l’embouchure du Saloum (Sénégal)à la Sierra Leone, la région des rivières du Sud est caractérisée par l’importance de son réseau fluvial à rias (vallées fluviales soumises à l’influence des marées)et la présence de vasières.
Ce milieu permet le développement de la mangrove, formation végétale amphibie et adaptée à une salinité élevée qui constitue une interface entre le milieu fluvio-marin et le milieu terrestre. Ses caractéristiques résultent principalement de l’influence de paramètres hydrodynamiques : hauteur des marées, importance de la houle, structure du réseau fluvial, débit et variations dans le temps... et bien sûr topographie.
Dans la région de Tombali (Guinée-Bissau), la mangrove était inexploitée avant l’arrivée des Balantes, ses caractéristiques la rendant, a priori, inapte à toute valorisation. Pourtant ces derniers ont su développer un ensemble de pratiques qui ont permis de l’aménager et d’y pratiquer une riziculture submergée.
Ce système rizicole nécessite la mise en oeuvre rigoureuse et minutieuse d’un itinéraire technique centré sur la gestion de l’eau et le maintien des conditions de salinité et d’acidité des sols compatibles avec les exigences du riz. Cette gestion requiert une importante force de travail et une organisation collective des pratiques culturales pour la confection, l’entretien et la surveillance des ouvrages collectifs ainsi que pour la conduite de l’irrigation et du drainage. Une partie des travaux est effectuée dans le cadre de groupes de travail rémunérés en nature (principalement en riz).
L’organisation sociale de l’ethnie balante répond à ces impératifs. Les règles strictes, l’organisation en classes d’âge et la détention du pouvoir et du savoir par les anciens permettent de retenir les jeunes, principaux pourvoyeurs de force de travail. Les excédents sont en grande partie consommés de manière ostentatoire dans le cadre de cérémonies (funéraires, d’initiation...)qui coïncident avec le calendrier cultural. Ces cérémonies permettent de rassembler la main d’oeuvre pour la préparation des sols et de donner au riz une grande valeur symbolique. Le prestige social d’une famille est étroitement lié à sa propension à dépenser le riz pour rémunérer les groupes de travail et organiser des cérémonies religieuses. Les enjeux de pouvoir reposent sur la capacité à contrôler le travail et la production rizicole, tous deux étant totalement interdépendants.
Toutefois, les évolutions récentes de l’environnement climatique et socio-économique fragilisent le système et posent des problèmes d’adaptation.
La riziculture, telle qu’elle est pratiquée par les Balantes, nécessite une pluviométrie minimale de 1 500 mm pour assurer le lessivage des sols et une alimentation hydrique correcte du riz. Comprise entre 2 00O et 2 500 mm dans une période pluvieuse de mai à novembre, des observations plus fines sur une période récente ont montré une diminution sensible depuis 1973 et une réduction de la durée de la période (juin à octobre). Cette évolution a conduit les Balantes à adopter une variété à cycle plus court dont le succès a montré la capacité de la société balante, apparemment figée, à s’adapter à de nouvelles contraintes. Mais le raccourcissement de la période pluvieuse devrait conduire les Balantes à repiquer le riz dès que les caractéristiques chimiques du sol le permettent, ce qui est rarement le cas pour trois raisons principales : il est de plus en plus difficile de mobiliser des groupes de travail capables d’effectuer la préparation du sol en peu de temps, les anciens - qui décident la date de début des labours- n’ont pas toujours pris suffisamment conscience des changements climatiques et des évolutions qu’ils demandent, l’évacuation des excès d’eau dans les parcelles basses et les points bas s’effectue souvent lentement, retardant les travaux de préparation du sol.
Le désenclavement de la zone, la libéralisation de l’économie et le développement des échanges sont profondément déstructurants. Les jeunes peuvent plus facilemet échapper à un système dont ils sont les principaux fournisseurs de main d’oeuvre, mais dont (à court terme)ils ne tirent pas les bénéfices en termes économiques ou de prestige social. Le travail, principal "facteur" d’intensification agricole, s’en trouve profondément désorganisé. L’utilisation des excédents pour la satisfaction de nouveaux besoins de consommation s’effectue au détriment de son utilisation traditionnelle : mobiliser le travail et renforcer la cohésion sociale. Les systèmes de valeurs de la société sont remis en cause. Peu à peu le statut des jeunes et des femmes évolue, les principes égalitaires et de non-accumulation deviennent moins contraignants.
Face à la raréfaction du "facteur travail" sur laquelle elle repose, la société balante semble avoir peu d’éléments de réponse. Les opérations culturales (préparation du sol en particulier)ne sont plus réalisées dans les délais optima et les rendements en sont d’autant plus affectés que la saison est plus sèche. Le mauvais entretien des digues de ceinture est cause de brèches et de ruptures plus fréquentes provoquant des entrées d’eau salée dont les conséquences sont parfois dramatiques. La pénurie de main d’oeuvre rendra certainement plus difficile la mise en valeur de nouveaux espaces alors que, déjà, la pression démographique sur les rizières existantes commence à poser des problèmes d’organisation du foncier.
rice growing, irrigated farming, traditional farming, influence of market on agriculture, influence of climate on agriculture, water resources, rural environment, traditional society, ecosystem, social change, water salinity, cultural behaviour, farming technique, system of values
, Guinea-Bissau, Tombali
Communication présentée au séminaire organisé à Montpellier (France)du 13 au 17 novembre 1995.
Contact : CONFORTI, Jacques, IRFED, 49 rue de la Glacière, 75013 Paris, France. Tél. 43 31 98 90, Fax 43 37 54 33.
Colloquium, conference, seminar,… report
CONFORTI, Jacques, CANALS, Jean Sébastien, PENOT, Eric, Fertilité du milieu et stratégies paysannes sous les tropiques humides. Document provisoire., CIRADMINISTERE DE LA COOPERATION, 1995 (France)
Développement et Civilisations - Centre international Lebret-Irfed - 49 rue de la Glacière, 75013 Paris, FRANCE - Tel 33 (0) 1 47 07 10 07 - France - www.lebret-irfed.org - contact (@) lebret-irfed.org