«Il existe trois représentations idéal-typiques de la campagne : celle de l’agriculteur, qui la perçoit comme un pays, celle de l’esthète, qui voit en elle un paysage, et celle de l’écologiste, qui la conçoit comme un écosystème». Ces différences de conception ne peuvent que provoquer des malentendus en matière d’aménagement du territoire et de protection de l’espace rural par les agriculteurs.
Pour ces derniers en effet, leur appréciation du "pays" se réfère à ce qui est jugé bon dans le cadre des liens économiques et sociaux qui structurent la communauté rurale. Cette vision n’exclut pas l’attachement sensible ou l’observation, mais elle s’opère sans l’intention et le recul que manifestent l’esthète et l’écologiste. Elle relève du réflexe identitaire, elle naît d’un vécu quotidien.
Dans les représentations paysannes de l’espace rural, celui-ci a deux fonctions principales, essentiellement attachées aux valeurs viriles. La première est la fonction initiatique, l’intégration des jeunes au monde des adultes, en particulier à travers la chasse. La seconde est la transgression des interdits officiels, qui s’exprime par la tolérance envers le braconnage et la pratique des "ribotes" (orgies)masculines, qui autorisent une rupture avec les contraintes matrimoniales et familiales. Ces rituels réaffirment la cohésion de la communauté rurale et les inégalités de statut qui la caractérisent. L’intimité des relations avec la campagne, qui marque ces coutumes, explique l’ironie ou l’hostilité des agriculteurs envers ceux qui n’ont de l’espace rural qu’une connaissance extérieure et qui prétendent parfois lui dire comment l’aménager.
Mais la multiplication des contacts entre agriculteurs et citadins (à l’occasion du tourisme rural, des voyages, du travail à l’extérieur de la femme de l’agriculteur, etc.)provoque insensiblement chez les premiers une incorporation des manières de sentir et de penser la campagne propres aux citadins. Leur identité et leur imaginaire tendent donc à se modifier et à ce rapprocher, au moins à propos de certains lieux, de ceux de l’esthète ou de l’écologiste.
agriculture and environment, rural environment, tradition, rural planning, social change
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SYLVESTRE, Jean Pierre, GREP in. REVUE POUR, 1994 (France), N° 141
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