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dialogues, proposals, stories for global citizenship

Ukraine-France : quelle réciprocité entre citoyens ?

Christophe BEAU

03 / 1993

C’était au mois de mars 93 mandaté par le CCFD pour une mission d’identification avec le CIEPAD. Les lacs recouverts d’une chape de glace peu entamée par le dégel, un dégel qui sur cette terre ukrainienne est aussi inexorable que le dégel des mentalités soviétiques, petit capitalisme actif, dérussification accélérée, retour en force sur le religieux, etc... Mais ce dégel ukrainien ne va point sans bourbier, loin de là. Visite au pays de Tchersnenko (1)... et de Walt Disney ! (2)

COTE PILE : AUX ACTES CITOYENS !

Nous voilà à 100 kms au sud de Kiev, capitale de l’Ukraine. Le kolkhoze de X est aujourd’hui habité par 200 prisonniers. Après la grande débâcle de l’Union soviétique puis l’indépendance des républiques, les structures agraires s’effondrent. Kolkhozes et sovkhozes cherchent repreneurs. A X, c’est le ministère de l’intérieur et son service d’accomplissement des peines qui a transformé les anciens bureaux en dortoirs et cantines. Certains prisonniers (petits criminels)vivront bientôt avec leurs familles sur place.

Du haut de la colline, le responsable et ses supporters voient déjà l’avènement d’une micro-société paisible et fertile... ! L’utopie, tout de suite...

Ivano-Frankisk, c’est le coeur de la Galicie en Ukraine occidentale en marge des Carpates. Ils sont aujourd’hui une quinzaine ; docteur, ingénieur, technicien, comptable,..., étudiants ; voilà 2 ans qu’ils veulent prendre en main l’avenir de leur région.

Le Ministère régional de la Santé se "défausse" de ses équipements sociaux qui partent à vollo.

Alors avec quelques milliers de francs du Secours catholique, un bénévolat très actif,... voilà que ce groupe, cet embryon de société civile (?)est à la veille d’inaugurer la remise à neuf d’un sanatorium public. Des enfants irradiés de Tchernobyl peuvent déjà s’y soigner périodiquement.

Mais au fait comment se procurer l’indispensable nourriture saine... non irradiée ? Car il faut savoir que, planification oblige, chaque kilogramme de blé produit aujourd’hui est encore centralisé, puis est divisé en autant de grammes qu’il y aura de choix de lieux de distribution.

Bref voilà notre association "blahosvit" (lumières de l’univers), qui dans un village aux couleurs démocrates, cherche à promouvoir l’installation de paysans; Ceux-ci seront leurs alliés pour cette réappropriation des actes de produire et de consommer. Les premiers 20 hectares privatisés seront semés ce printemps.

De nouveau en Ukraine occidentale (plus russifiée qu’ailleurs), autre surprise. Un kolkhoze de 1000 hectares est devenu une société par actions regroupant 200 familles. Une vie démocratique se réorganise peu à peu au sein de l’entreprise. Ailleurs, CARITAS Ukraine s’associe avec un kolkhoze nouvelle vague pour approvisionner des "resto du coeur" à Kiev.

Les exemples abondent donc pour illustrer cette reprise en main par les citoyens. Dans le secteur agricole sans doute, mais pas exclusivement bien entendu. A chaque fois tout acte quotidien, technique, économique, social, relève souvent d’un acte politique.

COTE FACE : AU SECOURS LE PEUPLE !

Stephan lui était mécano il y a 3 ans. Dès les bouleversements, il lui a été offert de prendre 100 hectares vacants. En peu de temps, fort de son profil d’entrepreneur, il fait bien des "affaires" ; ce dans un marché souvent "noir" et de plus en plus sans foi ni loi... Aujourd’hui la réussite est là mais la jalousie et les menaces de mort se précisent. L’ancien responsable politique local, paraît-il, reconverti lui aussi dans des "affaires"...

Sergueï lui est un scientifique, de haut vol. Il erre à Kiev dans l’institut de biologie dépouillé de tous ses moyens de fonctionnement. Son rêve : développer des pépinières de plants sains (non irradiés)pour contribuer à la sécurité alimentaire des nouveaux paysans et jardiniers. Et voilà Sergueï à l’image de nombreux autres Sergueï quelque peu angéliques, à la quête d’hypothètiques savoirs technologiques et joint ventures occidentaux.

Autre cadre, même caricature. Imaginez ce kolkhoze de la banlieue de Kiev qui n’est plus qu’un cimetière d’équipements et de carcasses de bâtiments agricoles. On recherche investisseur étranger pour remise en route. Que dire ou proposer face à cette vision d’un pouvoir économique occidental "magique", capable semble-t-il, de retourner la situation la plus désastreuse.

Alors pendant que certains pratiquent intuitivement leur rôle de citoyen actif, d’autres non moins actifs (parfois les mêmes)se prennent à bras le corps au jeu d’un marché capitaliste ou tous les coups sont permis, où la monnaie n’en est plus une (3)ou pas encore.

Déliquescence de l’Etat, conflits et intégrismes religieux, mafias multiformes, confusion des rôles dans la société, syndrôme de Tchernobyl, tous vivent au même diapason.

Mais les repères pour les uns ou les autres sont de plus en plus fragiles voire absents. Le quotidien et l’avenir proche ne se nourrissent que d’intuitions ou d’opportunismes ; quant à l’avenir à terme...

Pour renouer les liens, reconstituer des repères communs, un sentiment d’appartenance à un ensemble culturel cohérent, combien d’actes de citoyenneté, constitutifs de solidarités locales et de progrès social seront nécessaires ?

QUELLES SOLIDARITES EST-OUEST ?

Et nous là-dedans ? Tisser des partenariats, des solidarités dit le CCFD. Nous allons donc, nous experts (ou mieux, représentants-citoyens d’ailleurs), ne pas faire d’exclusivités ni religieuse (plus de cinq églises distinctes qui sortent des catacombes), ni technique (pourquoi le secteur agricole plutôt qu’artisanal ou social). Et puis les Ukrainiens ne demandent rien ou presque en terme d’appui financier ; il s’agit plutôt pour eux d’intensifier les échanges de savoirs, d’expériences... Eventuellement de solliciter des joint-ventures tout azimuth. Ou alors il n’y a parfois que le besoin de ressentir de l’extérieur, des reconnaissances à leurs initiatives. Ainsi, premier bilan de cette mission : nous décidons d’appuyer l’achat d’un tracteur pour l’association paysanne de "Blashorit", manière de montrer pour eux dans la région que l’on peut semer et récolter en dehors du Kolkhoze ou de l’initiative capitaliste. Et puis nous proposons des échanges de compétences entre expériences françaises et initiatives Ukrainiennes. 6 mois après, 3 partenaires viennent en France pour voir ce que signifient les capacités (et les difficultés)du dynamisme économique en milieu rural. Histoire aussi de provoquer des passerelles, mais aussi de relativiser la question obsessionnelle des joint-ventures. Bref, des personnes en quête de citoyennetés active à l’Est au contact d’expériences citoyennes à l’Ouest.

(1)Ecrivain ukrainien du 18ème siècle, symbole de l’élan d’indépendance acquise au 1er janvier 1992

(2)Walt Disney était ukrainien, un parmi une très nombreuse diaspora notamment canadienne

(3)En Ukraine a été créé le "coupon", sorte de monnaie-papier de monopoly à la valeur de plus en plus

dérisoire. En attendant mieux... le dollar est roi.

Key words

cooperation, privatization, land decollectivization, citizenship, citizenship education


, Ukraine

Notes

GEYSER est un groupe de travail à l’interface des questions d’agriculture, d’environnement et de développement. GEYSER anime des réseaux, systématise et diffuse des informations utiles pour l’action, fournit des appuis techniques ou méthodologiques. Pour plus d’information, voir fiche 21

Source

Experience narration

BEAU, Christophe, GEYSER

GEYSER (Groupe d’Etudes et de Services pour l’Economie des Ressources) - Rue Grande, 04870 Saint Michel l’Observatoire, FRANCE - France - www.geyser.asso.fr - geyser (@) geyser.asso.fr

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