Claude Sicre, écrivain et musicien, décide en 1991 de lancer un repas de rue hebdomadaire sur une des places d’un quartier de Toulouse, la place des Tiercettes. L’objectif : que les habitants du quartier se rencontrent régulièrement et que les gens de passage puissent s’y joindre.
Les conditions : que chacun amène des plats à partager avec les autres.
L’expérience est à distinguer de celle des « Restos du Coeur » et des repas de village: les premiers sont nés comme réponse générale, de type caritatif et humanitaire, à une situation nationale d’urgence, les besoins alimentaires d’une population sans moyens quand les Repas de Quartier sont partis d’une initiative d’animation locale. Par ailleurs, les repas de village rassemblent des personnes qui se connaissent déjà et c’est là l’expression d’une communauté déjà existante tandis que les repas de quartier regroupent des gens qui s’ignorent, car les relations entre citoyens d’un même village et d’un quartier d’une ville sont très différentes.
L’effort des organisateurs a essentiellement porté sur cette volonté de réunir des gens sans autre lien que le voisinage, sans préjuger de la teneur des discussions, de ce qu’ils pourront faire ou penser ensemble, sans mot d’ordre, sans drapeau. Le repas de quartier crée une communauté éphémère, fragile, mais toujours ouverte et qui peut, à l’heure de la mobilité et du déclin des liens traditionnels entre les gens, constituer un très bon antidote à la montée de l’indifférence, de l’individualisme et de l’exclusion.
Le fonctionnement, le cadre, le résultat
Cette expérience a débuté dans un quartier où déjà de nombreuses activités sont organisées et réalisées par des citoyens bénévoles, dans trois directions différentes mais complémentaires: la défense des intérêts des riverains, avec le Comité de Quartier; l’animation, avec l’organisation de marchés spéciaux, de bals, de jeux d’enfants…; enfin l’action culturelle aux plus hautes ambitions « déprovincialisantes » avec concerts, conférences, théâtre… Les Repas-de-Quartier existent depuis 1991, ils sont hebdomadaires, ils ont lieu essentiellement entre novembre et avril, et fonctionnent exclusivement avec la participation de chacun à la confection du repas.
Le succès de l’expérience s’amplifie avec les mois et les années, non sans poser aux acteurs nombre de problèmes qui sont autant d’excellentes occasions de pédagogie civique : celui des « profiteurs contestataires » qui s’invitent systématiquement et n’ont que mépris pour les tâches serviles. La grande réussite a été de les voir changer d’attitude en les mettant face à la situation où rien ne se passe si personne n’agit. Un autre problème fut aussi la gestion de la diversité : dans une association sportive, culturelle, un syndicat, un parti politique, les gens se retrouvent par affinités; dans un quartier, des gens de tous horizons se retrouvent sur le critère du voisinage et sur des objectifs communs limités; ils sont obligés de rencontrer des gens qu’ils ne rencontrent jamais ailleurs. Des habitants de tous âges, de tous milieux sociaux, de toutes nationalités, s’y retrouvent; des curieux s’y pressent. On pourrait même affirmer que c’est à peu près, pour cette raison, le seul lieu d’apprentissage de l’esprit d’ouverture car il est ici total face à toutes les différences.
Cette expérience tend en outre inévitablement à dévoiler un sens de la solidarité enfoui mais existant. Ainsi, lorsque les repas de quartiers fonctionnent, les plus démunis s’y pressent. Tant qu’ils sont peu nombreux, cela enrichit l’expérience : ils trouvent toujours de quoi manger mais, mieux encore, ils trouvent avec qui parler. Certains même s’impliquent, prêtent main forte aux organisateurs; certains SDF (sans domicile fixe), par l’intermédiaire des contacts pris aux repas, ont même trouvé logement, petit boulot et « famille ».
L’évolution
En quelques semaines, l’opération a connu un grand succès, qui débordait les frontières du quartier : des articles sont parus et d’autres quartiers de Toulouse ou d’autres villes ont contacté les organisateurs - des associations, groupes d’amis ou voisins.
Quelques exemples concrets de cette réussite : les rencontres ouvertes à tous ont permis, par le biais d’associations musicales, l’éclosion d’une authentique musique de rue qui n’a rien à voir avec la musique de concert portée dans la rue, mais qui favorise la participation effective de tous, par l’improvisation, l’écriture de textes… Les repas délient les langues (et les cultures): place des Tiercettes, à côté du français, on entend l’occitan, l’arabe et le berbère, le portugais et l’anglais.
Le succès a été tel que les organisateurs ont eu l’ambition d’organiser un repas de quartier à niveau national. Aussi, en juin 1994, des repas de quartier ont été organisés dans toute la France, où tous les quartiers, rues ou villages du pays désirant participer étaient conviés.
L’objectif était triple :
passer par l’échelon national pour féconder l’action locale;
attirer l’attention du public, des institutions, des médias, sur l’existence d’associations, un peu partout dans le pays, qui s’investissent dans des activités d’intérêt général, souvent méconnues, qui inventent chaque jour des réponses à toutes sortes de problèmes sociaux, culturels ou moraux;
montrer que c’est à partir de la base, dans la communication et la solidarité directe entre citoyens que se nouent les liens et que naissent des expériences d’intérêt général.
Le rôle des organisateurs est à la fois de s’assurer de l’autorisation de la localité, d’associer aux repas le plus grand nombre de voisins d’horizons les plus divers, d’accompagner la préparation et la tenue de ce repas d’une réflexion sur la valeur civique, sur les intérêts et les désavantages pratiques de cette expérience, ainsi que sur les conditions de sa continuité. Leur rôle est aussi de mobiliser d’autres organisateurs pour développer l’action. L’expérience a fonctionné dans 50 villes : une centaine de repas ont été organisés. Aujourd’hui, c’est au niveau mondial que le Carrefour Culturel, une association qui regroupe les animateurs de cette opération, veut étendre l’action.
State and civil society, communication, social insertion, social exclusion, social change, citizenship
, France
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Articles and files
SICRE, Claude, REAS, Initiatives, Emplois, Solidarités in. A Faire, 1994/04, 19
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