Les individus "s’engagent" (investissement des désirs, volontés, efforts, capacité et temps):
pour leur bénéfice exclusif ou pour celui de leurs groupes fusionnels, type famille...en vue d’améliorer ou de sauvegarder leur propre situation ou celle des groupes auxquels ils s’identifient;
de façon "altruiste" : pour les pauvres, ceux qui souffrent, les exploités, les opprimés ou, d’une manière plus générale, pour le bien de tous;
pour sauvegarder leur propre situation et simultanément pour améliorer ou défendre la situation d’autres sans liens directs avec eux.
L’engagement du premier type est nettement hors de la définition actuelle de la citoyenneté. Celui du deuxième type est tout à fait conforme aux définitions canoniques, "supérieur": il fait appel à des valeurs. Mais il n’est pas exclu qu’il prenne des formes ambiguës relevant soi du type "donation de soi" et dont les ressorts peuvent être tout à fait personnels, soit du type identification mythique avec le sort de gens réellement existants mais complètement déconnectée du vécu et de la condition de ceux qui s’y engagent. Là aussi les raisons peuvent être trouvées plus dans l’individu lui-même que dans le sort de ceux pour lesquels on se bat.
Du fait que ces causes peuvent emporter l’adhésion d’un grand nombre de personnes, et que, nécessairement, se forment des structures formalisées, il n’est pas exclu non plus que, comme dans d’autres structures, un apparent dévouement "désintéressé" à outrance ne cache tout simplement un désir de pouvoir (en s’identifiant à la cause).
Quant au dernier type d’engagement, la définition classique de la citoyenneté ne l’exclue pas, dans la mesure où le rapport intérêt personnel/intérêt collectif n’est pas toujours saisissable, et il est toujours possible de mettre en avant l’aspect public-collectif de l’action en laissant dans l’ombre l’intérêt personnel. Il y a là une injonction à respecter le code de la présentation publique de nos engagements.
En fait, le lien personnel/collectif a toujours existé (ex : luttes syndicales d’entreprises). Mais il est en contradiction avec le postulat des "deux sphères"distinctes et il y a un refus assez généralisé à le considérer comme légitime, du fait que la simple énonciation de ce rapport (sous la forme "affaires privées/affaires de la cité")suggère immédiatement une situation - hélas courante- qui consiste à confondre les deux aspects au détriment des affaires de la cité, tout en produisant des signes opposés. Le "délit", lorsque l’on associe intérêt personnel et intérêt collectif, est d’autant plus fort que la représentation dominante est celle de la séparation des deux sphères. Or c’est ce type d’engagement qui est le plus vraisemblable et le plus courant, le plus à même de relier ce qui, souvent, n’est séparé que pour des raisons de conformité au modèle de la citoyenneté.
L’impératif de dissociation entre intérêt et engagement personnels et action collective induit à la fois une survalorisation de l’action collective et de l’action individuelle désintéressée dans le cadre des valeurs citoyennes retenues. Cette stratégie vise à attirer le maximum de citoyens à l’exercice de la citoyenneté, c’est à dire à la citoyenneté active. Certes, l’adhésion forte à des valeurs (justice, liberté, non-violence,...)produit bien des comportements citoyens dont le lien avec les situations vécues et les appartenances peut être ténu. Dans d’autres cas, c’est du côté psycho-affectif que se forgent des comportements qui peuvent être perçus comme "altruistes".
Mais devons-nous asseoir ou modeler la citoyenneté sur une telle base ?
Conjuger participation et délégation
Le fait de concevoir une citoyenneté où l’individu agit avec ses liens sociaux et fait jouer ses appartenances, permet un travail de comptabilisation d’intérêts personnels et d’intérêts collectifs et met fin à l’impératif de séparation des deux, qui est souvent formel.
Le citoyen ne peut participer directement et s’investir dans la promotion et la défense de toutes les situations qui le concernent, ni intervenir sur toutes ses appartenances. L’entretien responsable de toutes les appartenances d’un individu et l’intervention sur "tous les fronts" nécessite une masse de temps, de disponibilité et d’investissement largement supérieure à celle réellement gérable.
Ainsi, l’individu est amené à faire confiance à d’autres citoyens qui, eux, par un conditionnalisme différent, ont été amenés à s’investir dans des domaines qui le concernent mais pour lesquels il est un citoyen passif. Nous sommes ici dans une situation où la délégation s’impose.
Tout en faisant attention à ce que le recours à la délégation n’opère de nouveaux clivages, nous devons nous assurer que les critères de démocratie sont respectés. Il faut pour cela réfléchir aux différents modes démocratiques de fonctionnement assurant une régulation : prévention et régulation des inévitables conflits d’intérêts, dans le respect de certaines valeurs et règles admises socialement.
La délégation qui s’opère dans le cadre de microstructures se montre très vulnérable aux effets de hiérarchie et de pouvoir qui dénaturent la circulation de l’information et des volontés, au profit d’une personne ou d’un nombre plus réduit de personnes qui se légitiment comme représentants en titre d’un groupe, en faisant croire que la survie et la reproduction de celui-ci en dépendrait.
Sur cette question, et à ce stade, limitons-nous à deux remarques.
La première concerne la multi-appartenance. Plus un individu est inséré et dispose de possibilités d’action au sein d’une grande variété de réseaux d’appartenance, plus il est en mesure d’échapper à ces microdespotismes et donc mieux gérer ses appartenances en sauvegardant son autonomie.
La deuxième concerne la question du fonctionnement de la démocratie : elle ne se réduit pas au suffrage universel et ne s’arrête pas au postulat démocratie=respect de la volonté de la majorité.
Il faut introduire des pratiques démocratiques - plutôt de l’ordre de l’informel- dans le fonctionnement des réseaux d’appartenance. L’autonomie des individus dans l’interdépendance en est une condition.
Des pratiques de délégation informelle sont possibles si la circulation de l’information se fait dans les deux sens. Cela suppose aussi l’existence de systèmes dits de proximité qui maintiennent des rapports interpersonnels, donc une interactivité, avec des régulations réciproques. La citoyenneté de demain est à concevoir dans un contexte où une partie au moins de l’essentiel des conditions de vie est "régulable" à des degrés divers, par les individus. D’où la nécessaire réduction du gigantisme organisationnel que les sociétés salariales et urbaines ont développé - réduction qui serait possible grâce aux nouvelles technologies de la communication, qui permettent d’étendre les systèmes de proximité au-delà de la contrainte spatiale.
Les nouvelles pratiques de citoyenneté vont dans le sens d’une proposition de démocratie participative dominante. Un certain nombre de conditions sont à remplir pour que l’on puisse conjuguer participation et délégation.
State and civil society, cultural evolution and social change, social change, citizen responsibility, citizenship
, France
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Original text
CORDEIRO, Albano, Citoyenneté : combiner participation/délégation - Pour la Charte de la Citoyenneté
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