12 / 1994
Dans une lettre adressée à John Major, en octobre l992, pour solliciter l’aide de la Communauté européenne dans la lutte contre la drogue, Hassan II décrivait le paysage du trafic en distinguant, d’une part, les cultivateurs marocains et, d’autre part, "les intermédiaires et trafiquants internationaux qui, en Europe, élaborent et commercialisent la résine et l’huile de cannabis". En réalité, des réseaux marocains de mieux en mieux structurés interviennent dans le commerce international des dérivés du cannabis fabriqués au Maroc.
Très hiérarchisée, l’organisation du commerce illicite intègre de nombreux intervenants. Selon une étude universitaire publiée en octobre 1991, 25 % des actifs de la province de Chefchaouen sont directement impliqués dans le trafic. Au bas de l’echelle, les agriculteurs, qui restent pour la plupart indépendants, récoltent, sèchent et stockent le kif (ou cannabis)brut avant de le vendre aux intermédiaires. Au moins 200 000 producteurs se livreraient à ce type de culture dans le nord du Maroc. Les transformateurs se rendent chez le producteur, achètent sa récolte et amènent généralement leurs équipes de batteurs pour élaborer, sur place, la poudre (chira)qui servira de matière première à la résine. La chira est ensuite transportée dans des ateliers où la résine est pressée et conditionnée. C’est aussi là qu’est distillée l’huile de cannabis. Des grossistes stockent et distribuent la production de résine. Ils sont souvent propriétaires (ou associés)de garages qui assurent la transformation et le "garnissage" des véhicules particuliers ou commerciaux qui restent le moyen privilégié de dissimulation de la drogue destinée à l’exportation.
Les transporteurs, qui acheminent la marchandise à chaque étape de la commercialisation, se chargent d’"acheter la route", ce qui se négocie sur place, ou dans les grandes villes (jusqu’à Fez, Casablanca ou Marrakech). La plupart des milliers de détaillants qui fournissent le marché intérieur sont connus et fichés par la police, qui les utilise comme informateurs. Ils sont aussi la cible privilégiée des opérations de répression. En général, ces petits trafiquants touchent aussi à d’autres types de délinquance : prostitution, contrebande, vol, etc. Les commanditaires, véritables barons de la drogue, gèrent, financent et contrôlent par intermédiaire interposé la commercialisation du haschisch. Viennent enfin les protecteurs, que l’on peut trouver associés au trafic à tous les niveaux, du plus humble fonctionnaire des douanes aux premiers cercles du pouvoir central, en passant par tous les échelons de l’administation centrale, des administrations locales, des organisations politiques ou des institutions élues (conseils municipaux et communaux, Parlement). Suivant le niveau de structuration du réseau et l’importance du client et de sa commande, un ou plusieurs de ces intermédiaires peuvent être sollicités.
Le développement du trafic n’a été possible qu’au prix d’une corruption généralisée à tous les échelons de l’administration. Dès le stade de la culture, dans certaines communes de la province d’Al-Hoceima, certains caïds (chefs de villages)prélèvent un "impôt" de 60 francs français par hectare planté de kif. Des fonctionnaires des Eaux et forêts, chargés d’empêcher le déboisement sauvage, se font également payer pour fermer les yeux. En cas de contrôle des autorités supérieures, ils se contentent de distribuer quelques amendes aux mauvais payeurs. Ensuite, vient la pratique de l’achat des routes.
Plusieurs options et tarifs sont proposées à l’acheteur de grosses quantités de haschisch en fonction des tronçons d’itinéraires envisagés. L’option de base est l’achat de la route au Maroc, du lieu de préparation-chargement du véhicule, jusqu’au point de sortie du territoire : postes-frontières avec Ceuta ou Melilla, frontière algérienne, ou port marocain. Il faut compter environ 180 francs par kilo. Une deuxième étape consiste en l’achat de l’entrée en territoire espagnol.
drug production, drug trafficking, cannabis, corruption, trafficker, drugs, role of the State, delinquency, repression
, Morocco
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OGD=OBSERVATOIRE GEOPOLITIQUE DES DROGUES
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