03 / 1995
Un groupe composé d’une quinzaine de femmes animatrices rurales au sein d’associations locales dans le district de Puné (INDE)et de deux autres animateurs se consacre depuis juin 1991 à l’étude du phénomène d’exclusion particulièrement dramatique qui frappe de manière de plus en plus fréquente dans ces zones rurales de jeunes épouses rejetées par leur mari et leur belle-famille. L’objectif : procéder à une analyse des processus qui conduisent aux formes diverses observées que revêt ce phénomène et revoir en conséquence les modalités des interventions sociales qu’elles impliquent auprès des femmes en difficulté.
Les acteurs ont suivi de près les travaux de ce groupe de réflexion et d’action. Ils ont rassemblé un certain nombre d’études des cas. Ils en tirent les éléments pour construire cette figure de l’exclusion singulière fondée sur un rapport d’alliance qui constitue selon eux "un atout majeur du système de parenté d’une société patriarcale" et en particulier de la société indienne où les traditions familiales sont encore très vivaces, même si elle est travaillée par de nouveaux modèles culturels apportées par la modernité. Ils expliquent par quels mécanismes s’exerce la domination masculine, au nom de quelles normes et valeurs ces femmes renvoyées sont impitoyablement vouées au silence, à la soumission et à la contrainte.
Entièrement sous la dépendance de son mari qui "seul matériellement, socialement et moralement peut s’avérer pour une épouse un soutien, une sécurité à tous points de vue", la femme rejetée n’a pas d’autre issue que de retourner vivre dans le lieu statutaire que lui assigne la société tout entière, dans sa belle-famille, quels que soient les mauvais traitements physiques et moraux qui l’ont déterminée à partir. Elle n’a pas grand chose à espérer d’un recours en justice. Les réticences de ses parents à engager des démarches longues et coûteuses, leurs doutes sur les résultats à en attendre, compte tenu du manque d’impartialité des juges (tous des hommes appartenant à une classe moyenne conformiste)au détriment des femmes, les risques d’encourir le mépris, elle et sa propre famille, en étalant aux regards des autres "un état infamant" de femme répudiée, autant de raisons qui les amènent, elle et les siens à renoncer à faire plaider légalement sa cause. Les contraintes sociales et culturelles qu’elle subit la force à se taire, lui interdisent de "penser par soi et pour soi", de revendiquer la moindre autonomie. Elle ne peut compter sur personne pour la tirer d’affaire, pas même sur ses propres parents, qui la poussent à revenir dans sa belle famille et préféreraient la savoir morte, plutôt que renvoyée définitivement de chez son mari.
Les motifs de rejet sont multiples : stérilité, engendrement uniquement de filles, dot non ou pas totalement versée, déceptions du mari à l’égard de son épouse imposée par ses parents, soupçon d’infidélité, querelles et sévices corporels forçant l’épouse à partir, choix par le mari d’une seconde épouse, conflit entre bru et belle-mère et bien d’autres situations péniblement vécues.
Les quelques cas cités en donnent un aperçu. Sita a été victime d’une tentative de viol par son beau-père que la belle-mère excuse contre la bru. Vimal a été mariée malgré elle à un mari atteint de folie; mais, après discussions entre familles, elle a obtenu un acte de propriété de ses beaux-parents qui l’obligent ainsi à rester et à travailler dur au même titre qu’une ouvrière agricole. Harisa est une femme battue, accusée faussement par ses beaux parents d’avoir mis au monde un garçon qui ne "serait pas le leur". Leila a laissé son fils chez eux et s’est réfugiée chez les siens maintenant décédés. Bien qu’appartenant à une famille relativement aisée, elle se retrouve sans ressources, ignorée par ses frères et pleure l’enfant qu’elle a abandonné.
Tous ces exemples concrets font état de la détresse matérielle et morale de ces femmes rejetées et sont significatifs de la force du contexte socio-culturel qui défie toute loi. L’analyse de chaque situation conflictuelle fait apparaître les effets limités que pourraient avoir des procès intentés en justice.
Finalement, craintes des vengeances de la part du mari et de la belle-famille, craintes du rejet aussi par la famille d’origine, craintes d’être objet de honte et de risée populaire, tout un ensemble de motivations empêchent la femme maltraitée de partir de chez son mari. Toute identité sociale, toute liberté d’action lui sont deniées. Même recueillie par ses parents, elle doit assumer sa condition d’exclue. Aucun écart de conduite ne lui est permis. Elle n’a pas d’autre issue que de se consacrer à des pratiques et oeuvres religieuses, même si cet enfermement apparent lui vaut des moqueries et des soupçons de trouver par ailleurs des consolations.
La rigueur d’une exclusion aussi totale est attribuée à "la force des systèmes de mariage et de parenté qui imposent ses valeurs et ses normes". Selon l’analyse rapportée du groupe d’étude, "les femmes sont les garantes des biens sociaux patriarcaux", en particulier par l’engendrement des garçons qui seuls assurent "la pureté de la lignée". Il s’agit donc avant tout d’assurer la permanence de l’héritage et du nom et de "maintenir à tout prix la seule autorité des hommes sur les biens", même si cette volonté n’est pas clairement avouée. C’est en raison de cette double nécessité parentale et économique que la société indienne se montre aussi sévère et refuse aux "femme au rebut" un rôle d’acteur à part entière.
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, India, Pune
Intervention au colloque "Transformations sociales : processus et acteurs", Perpignan, 1994, organisé par l’ARCI et l’Université de Perpignan.
Colloquium, conference, seminar,… report
POITEVIN, Guy; RAIRKAR, Hema
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