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dialogues, proposals, stories for global citizenship

La métropolisation au Venezuela et les barrios de Caracas

Yves PEDRAZZINI

12 / 1994

La métropolisation du monde est un processus connu et dont l’ampleur est grandissante. Les agglomérations urbaines sont toujours plus nombreuses à dépasser le million d’habitants, à devenir des métropoles. Elles sont aussi toujours plus nombreuses à voir leur territoire se disloquer et se fragmenter en micro-espaces apparemment déconnectés les uns des autres. Dans la plupart des pays du Tiers monde, mais également de plus en plus en Europe, les services publics et la planification urbaine ne sont plus garants de l’unité et de la continuité de l’espace métropolitain. Au Venezuela, les pouvoirs publics, dépassés ou corrompus, ne parviennent plus à maintenir ensemble les pièces éparpillées du puzzle des villes. Pire même, certaines pièces ont disparu ou s’estompent. C’est le cas de l’éducation scolaire, de la famille, du travail salarié. Caracas vit le temps de sa déstructuration urbaine. Le Venezuela, pays prospère il y a moins de quinze ans grâce à la manne pétrolière, est aujourd’hui endetté, appauvri, miné. 1% de la population gère à son avantage presque l’entier des richesses du sol et du sous-sol national. Les autres pourcentages sont constitués de quelque 20% de classes moyennes, et pour le reste de classes populaires toujours plus miséreuses. Pour répondre à la crise des structures urbaines et survivre dans la métropole, cette énorme majorité d’exclus ou de semi-exclus a mis en place de nouvelles pratiques économiques et des modèles socioculturels qui ont fondé une culture urbaine de secours que nous avons nommée la culture d’urgence. La culture d’urgence est le nouvel état de la culture de la métropole.

Les méthodes et théories de la sociologie urbaine ne parviennent plus à rendre compte de l’ampleur et de la complexité, du caractère paradoxal aussi de ce phénomène de métropolisation, de ces processus de déstructuration et d’émergence de la culture d’urgence, des pratiques informelles et des nouveaux modèles de socialisation. Afin de comprendre les termes de ce nouvel "arrangement" des classes populaires avec la métropole, il faut recourir à de nouveaux instruments, d’autres méthodes, d’autres théories, d’autres sciences. Le premier champ exploré dans cette thèse est celui de l’anthropologie urbaine, étude de "l’autre" dans le présent. L’anthropologie (ou ethnologie)permet d’approcher de manière sensible les micro-réalités et la vie quotidienne des acteurs de la culture d’urgence et de "traduire" les apports des théories macro-sociologiques à un niveau local, celui des quartiers populaires auto-construits, les barrios. Notre recherche s’est faite dans le barrio pendant quatre ans avec ses habitants et notre projet a été d’étendre ces analyses à l’ensemble de la métropole. Notre observation depuis le barrio nous a permis d’esquisser les principes d’une théorie de la "pratique quotidienne" du désordre urbain. Ce recours à l’anthropologie urbaine n’empêche pas la compréhension des mouvements de fond de la société urbaine et de la métropole vénézuélienne. Mais pour mieux saisir cette rupture historique entre une civilisation de la continuité et de la linéarité (celle de la croissance urbaine telle que nous la connaissons en Europe), et la civilisation de la discontinuité et de la non-linéarité préfigurée par Caracas, nous avons appliqué, sur le mode analogique, un certain nombre de principes empruntés à la théorie du Chaos développée par les sciences exactes, météorologie et thermodynamique notamment. L’apport déterminant de la théorie du chaos dans le champ urbain est précisément le concept de non linéarité. Selon nous, la métropolisation du Venezuela se fait de manière non linéaire, sa dynamique est déterminée par les turbulences, les attracteurs étranges et les objets fractals que sont entre autres, les barrios, sous-ensembles flous et dont la "déstructure" est de même type que celui de la métropole.

Le second fondement théorique a été celui de créolité/créolisation. Afin de ne considérer ni le barrio, ni la métropole comme un objet purement urbanistique mais comme lieu de vie, de socialité et de conflits, nous avons cette fois recouru à une approche sensible et poétique de la réalité chaotique en nous inspirant des écrits de l’auteur martiniquais Edouard Glissant. La créolité est l’emmêlement des genres et repose sur la non linéarité de l’histoire des peuples des Caraïbes. Caracas est une capitale de la créolisation, et il faut comprendre de pair son chaos et sa créolité, ses espaces physiques et sociaux. Le barrio est quant à lui un archétype du chaos et de la créolité, un attracteur étrange et un objet fractal métropolitain. En comprendre les règles permet d’anticiper le devenir de la métropole latino-américaine. Dans le barrio, les malandros, bandits rusés et populaires, sont les figures maximales du chaos et de la créolité. Leur style de vie, -le malandraje- est un jeu gagnant avec le chaos de la métropole. En revanche, les bandes d’adolescents du barrio -las bandas- armées et ultra-violentes, sont le résultat de l’exaspération de ce chaos et de cette créolité quand la crise ne permet plus la ruse, mais oblige à vivre dans la criminalité homicide.

La violence est aujourd’hui le problème numéro un de la métropole. Elle provient du choc entre une culture populaire du malandraje et une culture violente de la métropole déstructurée. Le lieu du choc est évidemment le barrio, devenu victime de la guerre des gangs. En toile de fond, le trafic de drogue, seule issue économique possible pour la plupart des enfants du barrio, et le contrôle progressif de la métropole par les narcos, notamment du secteur florissant de la construction, et donc d’une certaine manière de la planification urbaine.

Key words

precarious neighbourhood, violence, young person, cultural interdependence, social conflict, conflict


, Venezuela, Caracas

Comments

En Europe, ni cette violence des gangs, ni la "narcopolisation" de l’urbain, ni le malandraje -la roublardise- qui en serait peut-être la réponse, ne sont encore connus. Notre dernière réflexion porte néanmoins sur le barrio comme prémonition de certains quartiers de grandes villes d’Europe, et sur la possibilité -puisque la métropolisation est mondiale- de voir émerger de manière simultanée une sorte de "barrio mondial", figure de la non linéarité et de la créolité dont il faudra comprendre les risques notables mais aussi le génie.

Source

Theses and dissertations

PEDRAZZINI, Yves, 1994

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