Claire MOUCHARAFIEH, Bernard DREANO
07 / 1995
Depuis sa création, en 1990, la Helsinki Citizen’s Assembly (HCA) au niveau international, tout comme sa branche française l’Assemblée Européenne des Citoyens (AEC) ont consacré la majeure partie de leurs forces à des actions de prévention des conflits ou de solidarité avec les forces de paix dans les zones de guerre. Cette activité s’est développée en ex-Yougoslavie - en Bosnie-Herzégovine et dans toutes les autres Républiques - et plus généralement dans les Balkans, mais aussi de manière très significative dans le Caucase (en particulier la question du Haut Karabagh et de l’affrontement arméno-azerbaïdjanais). HCA est également intervenue sous diverses formes vis-à-vis de la question kurde en Turquie, des Roms dans la République Tchèque, Slovaque ou Bulgare, des questions de minorités dans les pays Baltes, en Ukraine et en Crimée, en Roumanie, en Moldavie, et, en collaboration avec d’autres mouvements, en Irlande du Nord, en Méditerranée orientale, au Proche-Orient…
L’expérience est donc très diversifiée. Il faut souligner qu’elle est mise en oeuvre par de petits groupes de militants, ne disposant que d’une logistique et d’une notoriété limitées. Les résultats sont évidemment fragiles, mais il est extrèmement intéressant d’en tirer les enseignements.
Maintenir le dialogue entre les différentes parties au conflit
HCA s’est construit comme « réseau » d’initiatives civiques, collectives et individuelles. Son premier objetif dans tout conflit est donc d’abord de contribuer à mettre en relation d’éventuels partenaires de paix ou à maintenir, malgré les tensions, une relation antérieure. Pour cela, et dès le début, l’intervention de « tiers » extérieur est très utile. Ainsi la conférence sur « la désintégration de la Yougoslavie » organisée le 7 juillet 1991 à Belgrade, avait pour fonction de conforter, avant qu’il ne soit trop tard, des liens que le conflit - que l’on savait durable - risquait de mettre à mal. De même les Assemblées internationales HCA (Prague octobre 1990, Bratislava mars 1992, Ankara décembre 1993), en rassemblant des centaines de personnes, ont joué un rôle privilégié dans ce type de « mise en relation » (par exemple entre Arméniens et Azerbaïdjanais en 92-93).
Les lieux de rencontres, grandes conférences ou petits séminaires de travail vont ensuite remplir une double fonction : tribunicienne et médiatrice. Parce qu’ils se situent en dehors de cadres traditionnels, ces rencontres constituent des tribunes privilégiées pour exposer des propositions originales et permettre des confrontations impossibles ailleurs. Les exemples sont multiples : on pourrait évoquer ainsi la conférence de Subotica (Serbie) de 1992 et les « tables rondes » sur les droit des minorités qui ont suivit dans toute la région, ou encore la prise de parole kurde à l’Assemblée HCA d’Ankara (1993). Moins spectaculaire, mais peut-être plus efficace, le débat sur la décentralisation en Moldavie (1994) explorant des pistes de réintégration des minorités russophones et turcophones de cette République ex-Soviétique, etc.
La fonction médiatrice du « tiers »
Comme les acteurs sont, par définition, impliqués dans la réalité de leurs sociétés, ils subisssent les effets politiques et matériels des conflits et leurs relations s’en ressentent. La médiation est donc sans cesse nécessaire et bien des rencontres ont eu cette fonction principale : il est plus facile de faire des concessions à un tiers communément accepté qu’à son partenaire antagoniste. Le dialogue balkanique, institué avec la « Conférence de Lagonisi » (1993), a permis de maintenir un processus permanent de médiation civique gréco-macédonienne; de même en ce qui concerne les relations entre Arméniens et Azerbaïdjanais, nécessaire pour une effective coopération sur le terrain (rencontres de femmes et de jeunes, libérations de prisonniers, etc.).
Mais il ne faut pas seulement parler. La lutte pour la paix doit être visible et concrète - même si chacun sait qu’elle ne peut être rapidement efficace. Soit de manière ponctuelle (les « Caravanes pour la paix » de 1991 en Ex-Yougoslavie, la Caravane Bakou-Erevan en Transcaucasie de 1993…), soit permanente (la « Maison des citoyens » initiée par l’AEC Montpellier à Sarajevo, le bureau HCA à Tuzla…). L’aide matérielle (équipement radios ou électroniques, à Sarajevo comme en Crimée ou en Georgie) et parfois l’aide humanitaire (le soutien scolaire à Sarajevo) ne peuvent rivaliser avec ce que fournissent les grandes agences ou ONG mais contribuent à authentifier, aux yeux des populations, le sérieux de l’engagement.
Des valeurs politiques communes
Cet engagement est politique, les initiatives ne sont pas neutres, plus, elles s’articulent directement avec des campagnes de pression sur les autorités locales, régionales, nationales, internationales. Par exemple la campagne « pour l’ouverture des villes et zones de sécurité » en Bosnie, menée depuis 1993, débouche naturellement sur la décision de tenir une quatrième Assemblée plénière HCA, en 1995, dans la ville de Tuzla, en cohérence avec les combats politiques menés sur place.
A l’échelle européenne, la diversité du réseau entraine des nuances, par exemple sur l’interventionisme ou la levée de l’embargo en Bosnie… Mais ces éventuelles contradictions n’ébranle pas l’unité interne fondée sur la reconnaissance mutuelle de partenaires qui partagent des valeurs plus précises que la « paix et la démocratie », comme l’antiracisme, le féminisme, une conception commune des droits civiques et individuels et collectifs. La position internationale ne s’impose pas mais apparaît comme une résultante des positions des uns et des autres, et permet d’intervenir auprès des gouvernement ou des institutions internationale (UE, Conseil de l’Europe, OSCE, OTAN…).
Cette manière de faire distingue HCA/AEC d’organisations proches qui mènent des « actions de réconciliation » exigeant plus de discrétion politique (comme Balkan Peace Team en ex-Yougoslavie) et plus encore de certains mouvements pacifistes traditionnels. Il est vrai qu’HCA n’est pas seulement un mouvement de paix, mais plus largement un réseau de citoyen européen au champ d’activités très ouvert. On comprend mieux ce positionnement particulier si l’on sait que HCA est né du dialogue, au cours des années 80, entre mouvements pour les droits civiques d’Europe de l’Est et mouvements pour le désarmement (la mouvance END, European Nuclear Disarmament) d’EUROPE OCCIDENTALE, ces derniers ayant eux-mêmes opérés en leur sein la synthèse des forces d’action non violentes et des organisations de solidarité internationale des années antérieures.
C’est ce « patrimoine génétique » qui a permis à ce réseau d’être opérationnel dès la fin de la guerre froide, anticipée par sa pratique Est-Ouest de « détente par le bas ». La construction aujourd’hui d’une « paix par le bas » et de sociétés civiles capables de résister aux racismes, chauvinismes et intégrismes est une tâche d’une autre ampleur à laquelle l’Assemblée des Citoyens veut contribuer.
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Ébauche pour la construction d’un art de la paix : Penser la paix comme stratégie
Gouverner les villes avec leurs habitants
B.DREANO est membre du présidium de l’Helsinki Citizen’s Assemblyet président du réseau français de l’Helsinki Citizens’ assembly, plus connu en France sous le nom d’Assemblée européeenne des citoyens (AEC).
Original text
DREANO, Bernard
AEC (Assemblée Européenne des Citoyens) - 21 ter rue Voltaire, 75011 Paris, FRANCE - France - www.reseau-ipam.org/rubrique.php3?id_rubrique=10 - aec (@) reseau-ipam.org