01 / 1994
Après la catastrophe d’Armero, les premiers secours sont organisés par les sinistrés eux-mêmes, explique Rosario Saavedra, une sociologue colombienne qui a participé à des projets de reconstruction dans la zone sinistrée : « Dans le cas d’Armero, des actions de sauvetage sont mises en oeuvre par les habitants qui réussissent, grâce à une aide mutuelle, à se réfugier sur les collines.
(…) Avec la destruction d’Armero et la mort de la grande majorité de ses habitants, les tissus de relations sociales (famille, amis, travail, église, partis politiques…) antérieurs à la catastrophe ont presque totalement disparu. De ce fait, les tentatives d’organisation et d’actions collectives sont rares. Etant donnée la situation, tout en assurant un soutien matériel correspondant aux besoins, une des premières tâches à accomplir devait être d’aider à reconstituer la capacité de participation communautaire des sinistrés - de la même manière qu’on soigne un blessé, avec un traitement adapté, un suivi régulier, afin d’assurer sa guérison.
Force est de constater que tel n’a pas été le cas. Très rapidement affluent, dans le plus grand désordre, organismes nationaux et internationaux de secours. L’aide, indispensable en raison de l’étendue du désastre, n’est pas coordonnée, organisée, planifiée. Trop souvent, chaque organisme public ou privé, national ou international agit plus en fonction de sa propre logique qu’à partir de besoins réellement constatés sur le terrain. On assiste à une arrivée massive de volontaires, de nourriture, de médicaments… Dans certains cas cette aide se révèle très utile. Dans d’autres, son impact est négatif, mobilisant des « bras » pour décharger, trier, stocker des marchandises dont on n’a pas besoin et du personnel (interprètes) pour guider, loger… les équipes étrangères de secours, les missions d’évaluation qui débarquent.
L’ampleur de l’aide et, surtout, sa distribution incontrôlée et désordonnée, conduisent à bien des abus : dans certains cas, des sinistrés reçoivent en double ou en triple, une aide identique, suite aux visites successives de plusieurs organismes travaillant sans la moindre coordination !
Par ailleurs, les centres d’hébergement fonctionnent souvent de façon autoritaire, sans que les sinistrés ne soient associés à leur gestion et à leur fonctionnement. Cette forme d’aide aboutit au développement d’une mentalité d’assisté et freine toute tentative d’organisation et de prise en charge, par les sinistrés, d’actions de reconstruction et de réparation des dommages.
Parfois, des organismes instituent des plans de participation à appliquer sans délai. Les résultats sont généralement médiocres. L’organisation immédiate et l’échec non moins immédiat des restaurants communautaires dans plusieurs centres d’hébergement en sont l’illustration. « Dès que possible, les sinistrés ont progressivement organisé des cuisines individuelles et, un jour, tout le déjeuner préparé par le restaurant communautaire a été perdu. Celui-ci a dû fermer » explique un sinistré réfugié à Guayabal. Des propos identiques ont été entendus à plusieurs reprises dans d’autres centres d’hébergement. La participation et l’organisation de communautés ne se décrètent pas. Elles résultent d’un travail en profondeur qui a rarement été réalisé.
Cette confusion s’est prolongée lors de la mise en route de la phase de reconstruction. Un groupe de sinistrés a reçu jusqu’à 32 propositions différentes émanant d’organismes d’aide publics et privés alors que d’autres sont oubliés. De même, la « déresponsabilisation » des sinistrés se poursuit : le fait que les sinistrés reçoivent une aide mensuelle de l’Etat d’un montant de 4 500 pesos conduit certains sinistrés à refuser de travailler.
En outre, la presse fait état d’une aide financière considérable destinée à la reconstruction, dépassant de très loin la réalité. Des sans-abri sont scandalisés lorsqu’on leur propose de participer à la reconstruction de leur maison et refusent de s’intégrer dans les projets d’auto-construction : il y a suffisamment d’argent pour embaucher les ouvriers du bâtiment, estiment certains sinistrés !
Selon des observateurs, le développement de cette mentalité d’assisté résulterait moins de maladresses que d’une stratégie délibérée, visant à empêcher l’émergence d’organisations de sinistrés risquant de mettre en difficulté les pouvoirs en place. Lors du tremblement de terre de Popayan (Colombie), de telles organisations avaient vu le jour. Plusieurs de leurs dirigeants ont été victimes d’assassinats. »
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, Colombia, Armero
Ébauche pour la construction d’un art de la paix : Penser la paix comme stratégie
Ce témoignage est celui de Rosario Saavedra. Il nous apporte un point de vue « Sud » qui confirme en de nombreux points d’autres observations et réflexions que nous avons pu faire sur d’autres terrains. Elle prononce sans doute une phrase clé lorsqu’elle dit : « trop souvent, chaque organisme public ou privé, national ou international agit plus en fonction de sa propre logique. » En effet, l’expérience montre que les dysfonctionnements liés à des actions d’urgence, voire de développement, sont souvent le fait de logiques différentes qui se confrontent et qui se traduisent par des approches, des priorités et des démarches différentes.
Grey literature
AUI=Action d’Urgence Internationale, 1992/06
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