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dialogues, proposals, stories for global citizenship

Les ONG face à « leurs » Organisations de Base au Togo

Bernard LECOMTE, Brigitte REY

03 / 1995

Julien NYUIADZI a rejoint son village d’origine au début des années 80 et a fondé une association pour le développement rural. Il est aujourd’hui confronté au succès même de cette association : la naissance d’une organisation paysanne qui va prendre son autonomie face à la structure d’appui.

« La difficulté vient d’abord de l’incompréhension de nous, promoteurs d’associations. En 1980/82, je me croyais être le mouvement paysan ! 14 ans après, je fais une différence entre l’association paysanne et l’organisme d’appui. Il faut bien comprendre cette différence pour accepter certains changements de rôles. Car les promoteurs se considèrent toujours comme le mouvement paysan. Ils ont du mal à faire la différence entre les paysans et eux. Les villages restent sous leur tutelle, perpétuellement.

Changer cela, c’est dire : « Attention, les paysans sont les vrais acteurs et en tant qu’acteurs, ils devraient être sur le devant de la scène ».

Tandis que jusqu’à présent, c’était plutôt nous qui étions devant. De leur côté, les gens, à priori, ne réclament pas parce que le promoteur de leur organisation est un peu comme « la pluie » ! La pluie : tous les jours, les paysans lèvent la tête vers le ciel et disent : « Il va pleuvoir ! » Donc, nous sommes un peu symbolisés. C’est là où, soi-même, il faut faire le pas. J’ai pris conscience de cela à partir de 1990, quand tout le mouvement « de la Baule » est arrivé en Afrique.

J’ai vu qu’en tant qu’individu, placé sur le devant de la scène, je représente effectivement, je ne dirais pas « une force » mais quelque chose pour eux qui peut vraiment les soutenir pour aller plus loin. Est-ce que je suis vraiment un des leurs ? Je me suis dit : « Non, si tu tombes, il viendra un autre Julien ! Mais si c’est quelqu’un du village qui tombe, c’est plus important pour eux. Et moi, où est-ce que je suis important ? Je suis important en tant que structure d’appui … à leur mouvement ! »

Mais il faut laisser progresser les leaders-paysans. Il y en a plein actuellement dans notre travail. Ils se révèlent à travers les commissions de travail qu’on a pu constituer : ces commissions désignent leurs responsables, un pour gérer les intrants, un pour gérer les problèmes d’épargne et crédit, etc. A travers les échanges, des leaders ont émergé. Par la discussion, les assemblées. Il y a 600 personnes, 1000 personnes, et une dizaine d’entre elles commencent à être une locomotive.

Progressivement les gens s’affirment à travers ces commissions et quand il faut discuter avec les villages. Mais on a l’impression que les ONG du Nord croient que les gens qui émergent peuvent se lever un jour et devenir leaders. Ils oublient que c’est à travers les réunions, les contacts, les échanges qu’ils se forment. Que cela coûte de l’argent. Cette réserve vis-à-vis de la formation des leaders vient aussi des promoteurs du Sud. Si tu leur dis qu’il y a nécessité de séparer organisme d’appui et mouvement paysan pour que ce dernier puisse se créer, ils ont peur. Moi-même, quand je dis « Je vais séparer les deux », je sais que dans 2 ans, je n’aurai plus d’argent pour vivre ! Car les ONG préfèrent financer directement les organisations de base ».

Key words

support structure, leader, countrymen’s organization, NGO, autonomy


, Togo

Comments

Deux dilemmes classiques du promoteur externe d’organisations paysannes : faut-il pousser les leaders villageois à créer leur propre organisation paysanne face à la structure d’appui ? Ce faisant, le promoteur ne va-t-il pas scier la branche sur laquelle il est juché et en particulier ses propres ressources financières jusqu’à présent fournies par le système d’aide ?

Notes

Julien NYUIADZI est le fondateur de l’Association Village-Entreprise du Togo. Il a aussi été le secrétaire exécutif d’un collectif d’ONG togolaises.

Source

Interview

Entretien avec Julien NYUIADZI, effectué par Bernard LECOMTE le 1994/09/25 (France)

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