La construction d’un système de santé communautaire
05 / 1994
En général, les peuples se libèrent puis construisent. Dans le cas du peuple palestinien, la construction a commencé bien avant la fin de l’occupation, à une époque où toute perspective de paix paraissait encore irréelle. Cela tient notamment à l’existence en Cisjordanie et dans la bande de Gaza d’une société civile vivante et structurée, dont l’émergence est étroitement liée à « l’expérience » de l’occupation. Faute d’Etat, et en raison de l’origine diasporique du mouvement de libération nationale, la société a été amenée à se prendre en charge pour survivre et lutter contre les effets destructeurs d’une occupation militaire prolongée.
Pour parer à la détérioration croissante des services et des équipements sociaux, à l’asphyxie économique, et à un développement quasi nul, l’initiative privée a petit à petit occupé un terrain de plus en plus important. Cette stratégie de survie a commencé à évoluer à partir de l’Intifada, et la culture de résistance a progressivement commencé à s’ancrer dans des projets de développement, dans la perspective d’une indépendance à venir.
Une politique de santé communautaire
Dans le domaine de la santé, l’expérience de l’Union des comités de secours médical palestinien (UPRMC)est originale et constitue un atout pour la mise en place à venir d’un système national de santé.
Créée en 1979 par un groupe de médecins, l’UPMRC a choisi dès le début de promouvoir une politique de santé privilégiant les structures légères et décentralisées, l’organisation communautaire, et le travail à la base par la formation d’agents de santé locaux. L’UPRMC refuse de limiter son travail à l’acte médical, technique.
Favorisant l’éducation à la santé, la prévention, il dispense des soins aux populations les plus défavorisées ou les plus vulnérables (réfugiés, femmes, enfants). Il privilégie la formation d’agents de santé communautaires en prise avec la réalité quotidienne et susceptibles de donner une autre relation à la dimension soigné/ soignant, en s’appuyant particulièrement sur les femmes. Cela contribue par ailleurs à attribuer aux femmes un rôle plus important, et reconnu, au sein d’une communauté traditionnellement patriarcale.
Ainsi, depuis 1989, une école forme des agents communautaires de santé. La grande majorité sont des femmes issues de milieux socialement et économiquement défavorisés qui, après 11 mois de formation (bases fondamentales en puériculture, pharmacologie, PMI, nutrition et soins d’urgence), peuvent animer des réunions d’information sur des affections courantes et dispenser des soins de base. En outre, des programmes d’éducation à la santé ont été mis en place.
Le programme « santé des femmes » bouscule les mentalités en refusant de limiter ce domaine aux seuls problèmes de la maternité. Sa philosophie opérationnelle, encore en pleine recherche, repose sur l’idée qu’une base communautaire forte est plus cruciale encore dans le cadre de la santé des femmes que pour les autres populations cibles. Autrement dit que la santé physique est bien souvent indissociable de la santé psychosociale.
Dans la pratique, l’UPRMC a constaté que les femmes utilisaient beaucoup plus facilement les structures de soins primaires lorsque, dans le village, certaines d’entre elles avaient été formées en tant qu’agents de santé, ou lorsqu’elles participaient, en règle générale, aux programmes d’éducation de santé. Dans la majorité des cliniques et centres de santé de l’UPRMC, les femmes participent activement à l’évaluation des besoins et à la définition des thèmes de recherche et de conférences.
Un autre programme « l’éducation à l’aide de première urgence » a également eu beaucoup d’impact. Mis au point après le déclenchement de l’Intifada et l’augmentation très forte des blessés et des victimes de la répression militaire, il consiste à former la communauté aux premiers gestes de secours. Toute personne formée doit immédiatement transmettre ses connaissances à son entourage, voisin etc… Avec des ressources et des équipements très limités, des centaines de vie ont pu ainsi être sauvées. L’UPRMC évalue à 25.000 le nombre de personnes ayant participé aux 1200 sessions organisées sur l’ensemble des territoires occupés depuis 3 ans.
Enfin,un travail de prévention et de vulgarisation sur toutes les affections courantes, les infections, la rééducation des handicapés, est fait par voie d’affiches, de brochures ou de dépliants. Ces outils sont distribués dans toutes les cliniques de l’UPRMC et dans 110 institutions des territoires occupés. Ils sont également diffusés dans les pays arabes limitrophes, ce qui permet échange, confrontation, et évaluation. Aujourd’hui, un vrai réseau existe dans le domaine de la santé primaire.
Du projet volontariste d’origine, les comités de secours populaire sont devenus une réalité sociale incontournable : quelque 1000 professionnels de la santé apportent aujourd’hui leur concours, le plus souvent à titre bénévole, au fonctionnement et à l’animation des comités, répartis dans les territoires occupés. Ils représentent un atout pour la période de transition où les ressources seront encore limitées.
L’UPRMC a développé depuis des années des relations de partenariat avec des ONG occidentales. En France, le CCFD, la Cimade, l’Association médicale franco-palestinienne, et l’Association France-Palestine - pour ne citer qu’eux - soutiennent ses projets.
Malgré des conditions historiques, politiques et sociales très différentes, la société civile palestinienne et son mouvement associatif se trouvent confrontés à des enjeux comparables à ceux du mouvement populaire sud-africain, dans la phase de transition : préserver leur existence et leur indépendance dans une complémentarité avec les instances du nouvel Etat (à venir). La question des ressources et de l’attribution de subventions internationales se pose nettement.
Depuis la signature de l’accord cadre israélo-palestinien, un large débat traverse les ONG palestiniennes sur l’ensemble de ces questions, qui sous-tendent celle de la construction d’une société civile démocratique. Devant l’enjeu, une coordination, regroupant plus de 50 associations, s’est mise en place pour la première fois pour défendre le maintien des ONG et leur rôle dans la bataille politique du développement.
Soucieuses de leur indépendance, sans pour autant exclure aide et expertise aux futures autorités et structures nationales, elles font valoir qu’elles sont les principales sources d’expériences pilotes dans toutes les zones à développer. Elles revendiquent savoir faire et efficacité, notamment dans le domaine social, grâce à une pratique de proximité, d’écoute des besoins, et de participation de la population. La coordination lie le développement à naître à la participation de la population et entend jouer de ce point de vue pleinement son rôle.
transition from war to peace, national reconstruction, political transition, civil society, health service, public health, woman, community development, popular participation, citizenship education, State and civil society
, Palestine, Cisjordanie, Gaza
Ébauche pour la construction d’un art de la paix : Penser la paix comme stratégie
Interview ; Report
UPRMC, Health Education and Village Health Workers Program : Evaluation Report, 1994, Plusieurs rapports de l’UPRMC., Entretien avec GAUBERT, Jean Marie - Président de l’Association Médicale Franco Palestinienne (AMFP), 21 ter rue Voltaire, 75011 Paris, FRANCE