Une avancée dans la pratique du droit
04 / 1994
La reconnaissance de l’individu comme sujet de droit international est très récente. Pendant des siècles, l’individu ne disposait d’aucune voie de droit pour obtenir la condamnation et la sanction des Etats, lorsque ses droits les plus fondamentaux étaient violés. Les Etats, seuls acteurs internationaux, appliquaient des règles de non-ingérence dans les affaires intérieures et de réciprocité. Il faudra attendre le Protocole facultatif au Pacte des droits civils et politiques (mars 1976), pour voir émerger l’existence d’un recours individuel à l’échelle internationale. Mais à ce jour, 66 pays seulement, sur les 183 Etats membres de l’ONU, l’ont ratifié.
Dans ce contexte, la Convention européenne des droits de l’homme (1950)constitue une référence unique car elle n’a pas d’équivalent dans le monde. Elle prévoit un engagement formel des Etats de se conformer aux décisions de la Cour européenne des droits de l’homme dans les litiges entre eux et un individu. De plus, c’est le seul instrument juridique en droit international qui introduit un contrôle de l’exécution des décisions contraignantes rendues par la Cour. Tout pays qui sollicite son admission au Conseil de l’Europe est tenu de signer et de ratifier cette Convention.
L’idée de garantie collective des droits fondamentaux des individus est une véritable avancée dans l’histoire et la pratique du droit, car elle implique une limitation volontaire de la souveraineté des Etats signataires, qui renoncent à se prévaloir du principe de réciprocité et acceptent un droit de regard des autres parties contractantes sur la manière dont ils s’acquitteront de leurs devoirs : en clair, un Etat peut se faire « attaquer » par un autre Etat pour violations des droits de l’homme.
Comment s’excerce ce droit « d’ingérence » ? La requête étatique est examinée par la Commission européenne des droits de l’homme, puis tranchée, avec effet obligatoire, par la Cour européenne des droits de l’homme ou le Comité des ministres du Conseil de l’Europe. Mais dans la pratique, l’efficacité de ce mécanisme de contrôle dépend exclusivement de la bonne volonté des Etats accusés et de leur bonne foi dans l’exécution de leurs engagements. En fait, la réputation du système tient plus à l’indépendance et à l’impartialité des organes institués par la Convention, qu’aux moyens mis en oeuvre pour assurer l’exécution des décisions rendues.
Mais c’est surtout le fameux droit de recours individuel, prévu par l’article 25, qui donne à la Convention sa véritable originalité. Il équivaut à instaurer un contrôle supranational des actes des autorités publiques. Ce système de protection individuelle n’en connaît pas moins des limites, qui tiennent aux conditions draconiennes de recevabilité fixées par la Convention et au filtrage des requêtes. En amont, le plaignant individuel devra avoir épuisé toutes les voies de recours possibles devant les tribunaux de son propre pays. En outre, il lui faudra démontrer qu’il est personnellement affecté : ainsi, une ONG ou un groupe de particuliers ne pourront introduire une plainte contre un Etat que s’ils ont, chacun pris individuellement, des griefs à faire valoir. Enfin, la Convention interdit toute plainte ayant trait au droit au travail ou à des conditions de vie décente, limitant son champ de compétence aux droits civils et politiques.
C’est la Commission, qui n’est pourtant pas une juridiction, qui détermine, sans appel possible, si la requête est recevable ou pas, puis qui décide, avec l’Etat défendeur, de déférer l’affaire à la Cour européenne des droits de l’homme sous les trois mois. Si la Cour est saisie et qu’elle constate une violation de la Convention, elle peut accorder à la victime une réparation, mais il s’agit généralement de compensations pécuniaires. Dans quelques cas exceptionnels, l’exécution peut consister à demander la révision du procès du requérant, devant les tribunaux internes. Si la Cour n’est pas saisie, faute d’une reconnaissance de sa juridiction par l’Etat défendeur, l’affaire est tranchée par le Comité des ministres. C’est également lui qui surveille l’exécution de l’arrêt, sachant qu’il n’a aucun moyen coercitif si l’Etat condamné est récalcitrant.
La procédure pour un requérant individuel est un véritable « parcours de combattant » avec une faible garantie de succès puisque 90% des requêtes ne passent le cap de la recevabilité. Depuis l’origine, cette proportion n’a jamais augmenté, à la différence des requêtes: 138 en 1955, près de 2000 en 1992.
Comment expliquer dans ces conditions le succès du droit de recours individuel ? La réponse réside sans doute dans le droit de décision : même s’il est clair depuis le départ que la requête est dépourvue de toute chance de succès, la Commission est tenue de statuer et de rendre une décision à tous les requérants. Or pour la plupart des plaignants, le fait de n’avoir même pas été « entendus » par les autorités nationales, et en particulier par la justice, constitue un de leurs griefs principaux. Recevoir une décision est souvent aussi important que le contenu de celle-ci. S’ajoute également, le sentiment diffus que la justice rendue à Strasbourg sera plus juste, car plus impartiale et indépendante que celle des tribunaux nationaux.
ICT, international law, human rights, peace and justice, law and democracy, citizenship, protection of populations, State and civil society
, Europe
Ébauche pour la construction d’un art de la paix : Penser la paix comme stratégie
Face à la résurgence de l’intolérance et du racisme, des revendications nationalistes exclusivistes et plus généralement de la montée des réactions de rejet vis-à-vis de tout ce qui est différent ou étranger, le droit de recours individuel ne saurait représenter une solution miracle. Il n’en contribue pas moins à familiariser, modestement, l’autorité publique avec ce qui est permissible dans un Etat de droit et ce qui ne l’est pas. Malgré toutes ses limites, cette jurisprudence européenne montre la voie d’une conception commune de valeurs fondamentales indivisibles, qui constituent les assises mêmes de la paix.
Résumé d’un article de Caroline Ravaud, membre de la Commission européenne des droits de l’homme
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RAVAUD, Caroline in. PROJET, 1993/10, 235
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