Héritier de l’expérience du « Tribunal Russell », le Tribunal permanent des peuples est né officiellement à Bologne en juin 1979, autour d’un postulat : au-delà des lois de tout Etat souverain et des accords internationaux qui régissent les rapports entre Etats, un nouveau code international protégeant les droits des peuples est nécessaire.
Pour son initiateur, le sénateur et théoricien italien Lélio Basso, il s’agissait de « réaffirmer, bien haut, le principe selon lequel les peuples, c’est à dire les hommes réels qui les composent, représentent les éléments de la vie collective, et par delà même, la communauté internationale »…
Aussi, le Tribunal s’appuie-t-il sur la déclaration universelle des droits des peuples (Alger, 1976)et tous les instruments de droit international et se donne pour mission de dénoncer, sous une forme juridique, les actes ayant porté atteinte aux droits des peuples. Il part d’un constat : dans de nombreuses circonstances, le droit et la justice ne peuvent être confiés à l’Etat et à ses organes, pas plus qu’à des instances internationales où entreraient en jeu des obligations de type diplomatique.
Aussi, le Tribunal se compose-t-il de personnes privées, juges et jury venant du monde entier, ce qui garantit son indépendance. Il est compétent, en particulier, pour se prononcer sur tout crime international, sur toute infraction aux droits fondamentaux des peuples et des minorités, sur les violations graves et systématiques des droits et des libertés des individus. Saisi par une ONG ou un groupe d’ONG, le Tribunal, comme tout tribunal d’opinion, n’a par définition aucun mandat formel mais émet une opinion fondée. Il s’adresse à l’opinion notamment, en faisant intervenir des personnalités à la réputation de moralité incontestable, reconnue, qui se font aider par des juristes. Il émet, après avoir entendu toutes les thèses y compris celles des Etats ou institutions accusées, des jugements mais aussi des propositions pratiques pour le retour de situations de droit.
Depuis sa naissance, le Tribunal s’est penché sur le Sahara occidental, l’Argentine, l’Erythrée, les Philippines, El Salvador, l’Afghanistan, Timor Est, le Zaïre, le Guatemala, le génocide des Arméniens, l’intervention des Etats-Unis au Nicaragua, l’Amazonie brésilienne, le Tibet etc… Dans certains cas (Amérique centrale, Afghanistan, Pakistan…), des commissions d’enquête se sont rendues sur place.
Depuis 1988, les thèmes des sessions ne se limitent plus aux violations graves des droits de peuples ou de minorités opprimées mais touchent aussi les problèmes posés par la mondialisation, la dette, les risques écologiques majeurs après la catastrophe de Bhopal ou des thématiques régionales telle que la lutte contre l’impunité en Amérique Latine. Une session sur la guerre en Bosnie est en préparation, session qui ne se limiterait pas au cadre du tribunal international en cours pour juger les crimes de guerres.
Par définition, les sentences prononcées ne peuvent prendre effet. Mais le sérieux des avis émis est reconnu. Les jugements sont remis au Parlement européen, à la Cour européenne des droits de l’homme, à toutes les commissions de l’ONU, aux organisations internationales et intergouvernementales et régionales, organisations humanitaires etc… Leur impact dépend ensuite de la couverture médiatique dont ils bénéficient, du travail de diffusion de l’information auprès de l’opinion, mais aussi du travail de lobbing auprès des différentes commissions de l’ONU ou autres.
Grâce à son statut consultatif à l’ONU, la Ligue internationale pour les droits des peuples - volet militant de solidarité internationale du « système » Lelio Basso- est un des vecteurs de sensibilisation. Les argumentaires juridiques, qui reposent sur une étude rigoureuse des faits, servent aussi très directement aux mouvements qui ont saisi le Tribunal. Par exemple, l’avis consultatif sur le Sahara occidental a servi au Polisario auprès de l’OUA. De même, la session finale sur l’Impunité en Amérique Latine a contribué à l’avancée du débat sur la question.
Les différentes sessions dans les divers pays, très bien couvertes dans les médias, ont aidé les associations en lutte sur le terrain et leur ont permis de susciter des débats à tous les niveaux. Le concept même de « l’impunité », le débat sur ses conséquences ont fait leur chemin, repris par la Commission internationale des juristes et par d’autres organisations internationales.
En revanche, le travail du Tribunal a souffert d’un certain nombre de limites. D’abord, parce qu’il n’existe pas de structures permanentes de suivi, et que le travail réalisé pêche par sa ponctualité. Ensuite, faute de moyens, le travail d’évaluation est insuffisant. Le Tribunal n’a pas de budget et celui de la Fondation Lelio Basso à Rome est limité. La Fondation ne peut assurer que le secrétariat du tribunal car la plupart de ses membres sont bénévoles. Les sessions, coûteuses, notamment parce que les juges viennent du monde entier, sont financées par ceux qui déposent la demande. Lorsque la session est terminée, il reste en général des budgets beaucoup trop limités pour réaliser des bilans d’impact sérieux.
La déclaration universelle des droits des peuples, qui constitue la base de l’activité de la Ligue et du Tribunal, est le produit d’une histoire. Les bouleversements politiques et idéologiques survenus avec l’effondrement de l’Union soviétique et la fin de la guerre froide appellent une réflexion nouvelle sur la vocation et les missions potentielles d’un Tribunal des peuples aujourd’hui. Dans un contexte de prolifération de conflits régionaux, qui ne s’inscrivent plus ou plus seulement dans le cadre de la lutte d’un peuple opprimé contre une puissance oppressive, mais où interviennent de plus en plus des dynamiques de type nationaliste ou chauvine où l’unicité des peuples est mise en question, des débats de fond apparaissent aussi nécessaires que ceux qui avaient traversé la Ligue au moment de sa fondation, en pleine période de décolonisation.
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Ébauche pour la construction d’un art de la paix : Penser la paix comme stratégie
Interview
Fiche rédigée à partir d’un entretien avec Jean-Marie GAUBERT, secrétaire-général de la section française de la Ligue pour les droits et la libération des peuples, 27 rue de Clignancourt, 75018 PARIS. La LIDLP, avec la Fondation pour le droit et la libération des peuples et le Tribunal permanent des peuples, constituent les trois volets du « système » Lelio Basso.
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