Imgoune, petit village du sud marocain, niché derrière les montagnes de l’Anti-Atlas, dans la province de Taroudant s’éclaire à l’électricité et on y cuisine non plus au bois, mais au gaz. Les femmes n’ont plus à faire des kilomètres pour rapporter jusqu’à 70 kg de fagots de bois sur leur dos. Elles épargnent et leur santé et la forêt, attaquée par le désert. L’arrivée de l’électricité a entraîné ici une révolution domestique.
Imgoune, l’un des neuf villages électrifiés de la région (trente autres ont fait la même demande)grâce au travail de l’association "Migrations et développement", groupement de villageois et d’émigrés autour de projets locaux et qui parvient cahin-caha à pallier les graves insuffisances des programmes nationaux (5000 villages sur 30 000 sont électrifiés). L’électricité lui est fournie, de 19h à 23h, par un groupe électrogène. La consommation est payée individuellement, selon les compteurs; le système lui-même est contrôlé par une assocation locale d’émigrés et de villageois. Grâce aux économies permises par l’électrification, les villageois ont accepté l’idée d’une taxe au compteur, en fonction des revenus de chacun, servant à financer d’autres projets de développement. Cet embryon de démocratie rompt avec des siècles de soumission forcée au caïd ou à l’homme le plus riche du village. Les démarches avec l’administration sont menées par les jeunes, qui savent lire et écrire, et qui, du coup, ont accru leur pouvoir par rapport aux vieux, peu novateurs.
Tout débute à l’Argentière-la-Bessée, dans les Hautes Alpes. Depuis des décennies, l’usine d’aluminium de Pechiney fait appel à une main d’oeuvre émigrée originaire de la région de Ouarzazate et d’Agadir. En 1984, l’usine ferme et l’aide au retour est proposée aux immigrés. Jamal Lahoussain, ouvrier immigré chez Pechiney, siège au comité d’entreprise : illetré en 60, il est diplômé en 85 de l’Ecole des hautes études en sciences sociales (restructuration en milieu industriel et problèmes d’émigration)). Il propose aux émigrés une utilisation révolutionnaire de leur aide au retour : en reverser une partie dans une caisse commune qui servira à financer, avec les habitants, des infrastructures dans leurs villages d’origine. Ils acceptent. "Migrations et développement" est née. Les salariés d’EDF sont les premiers séduits. En 89, certains prennent sur leurs vacances pour électrifier bénévolement Imgoune, EDF fournit le matériel, l’Etat marocain abaisse les droits de douane, le Fonds d’action sociale, le ministère de la coopération, puis la Communauté européenne suivent. Le mouvement lancé, il faut assurer la pérennité. En 90, des jeunes des villages sont envoyés en stage à l’école d’EDF à Ste Tulle pour pouvoir eux-mêmes électrifier. Des jeunes issus de l’émigration et des Français de souche s’organisent et fondent une bibliothèque du désert, un dispensaire à Imgoune, élèvent des retenues collinaires pour lutter contre la sécheresse et réalimenter les nappes phréatiques (en creusant, ils retrouveront de semblables constructions faites par leurs ancêtres et ensablées par manque d’entretien, les bras ayant émigré...). Les raisons du succès résident incontestablement dans la création d’une véritable dynamique sociale chez les villageois.
North South cooperation, emigrant
, Morocco, France
Il faut signaler que les autorités locales, après avoir tenté de bloquer les actions de cette association, commencent à s’y intéresser! La réussite de "Migrations et développement" vient de ce qu’elle accepte le partage du pouvoir, en mettant sur pied une véritable relation triangulaire : association-villageois-émigrés. De plus, les projets sont de petite taille et ont un côté concret. Avant le commencement d’un chantier, on dégage la dynamique sociale qu’il va enclencher sur place. Et finalement,, le meilleur commentaire est fait par M. Diarra qui mène une action de développement au bord du fleuve Sénégal :"Une des grandes forces des actions menées ici réside dans l’écoute véritable des désirs des villageois, grâce à l’émergence de structures démocratiques locales. Alors que dans beaucoup de villages à forte population d’émigrés, la "cellule des sages" était désorganiqée, on assiste à sa reconstitution, avec l’implication des émigrés, le droit de regard laissé aux vieux, et l’initiative donnée aux jeunes".
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PAYET, Marc in. LE MONDE DIPLOMATIQUE, 1994/07 (France), 484