Le contexte général
La Banque Mondiale a une prédilection pour financer les grands barrages. Elle raffole de ces megaprojets non seulement parce qu’ils font partie du modèle de développement dominant mais aussi parce qu’ils satisfont ses besoins d’investissements massifs. Un récent rapport interne à la Banque (le rapport Wappenhans) a confirmé en effet que l’excès de capitaux disponibles provoque une politique volontariste d’investissements au détriment de toute considération.
C’est ainsi que la Banque a financé les barrages de Kedung Ombo (Indonésie); Pak Mun (Thaïlande); Icha (Inde); Balbina, Tucurui et Itaparica (Brésil), Yaceryta (Argentine) et Ruzizi (Rwanda et Zaïre) dont les conséquences sont désastreuses d’un point de vue écologique et humanitaire. Des milliers de personnes ont été déplacées ou le seront bientôt comme dans le récent cas de la Vallée de Narmada en Inde où la Banque vient d’approuver le financement du plus important des barrages de cette vallée, le barrage Sardar Sarovar.
Les acteurs impliqués dans quatre grands projets de barrages
1. Le barrage de la Vallée de Narmada, Inde
Le 23 octobre 1992, le destin de la vallée de Narmada en Inde centrale et de ses habitants pour la plupart des Adivasis, une minorité ethnique, a été tranché. Le Conseil d’Administration de la Banque Mondiale a en effet décidé de ne pas suspendre le financement du plus grand barrage à construire, le barrage Sardar Sarovar en dépit de l’opposition des organisations non gouvernementales indiennes (en particulier Narmada Bachao Andolan, Mouvement pour sauver la Narmada) et du rapport d’une Commission indépendante chargée par la Banque d’évaluer l’impact du projet sur l’environnement et sur la société, lequel avait recommandé à la Banque de se retirer du projet.
Ce barrage gigantesque, déjà réalisé à 15 % créera un réservoir long de 215 kilomètres et d’une capacité de 9500 millions de m3. Sa capacité de production électrique devrait être de 300 mégawatts, il permettra d’irriguer 1,8 millions d’hectares et de fournir de l’eau à plusieurs régions victimes de la sécheresse. Mais le projet va aussi provoquer l’expulsion de 100 000 personnes réparties dans 245 villages et la destruction d’irremplaçables surfaces agricoles et forestières. Les programmes de réinsertion prévus par le Gouvernement Indien ne concernent qu’un quart des populations affectées et, de surcroît, ils sont irréalisables fautes de terres disponibles.
2. Le barrage de Balbina, Brésil
En 1986, la Banque Mondiale permettait l’achèvement du barrage de Balbina, assurant son financement de 550 millions de dollars pour un coût global officiel de 750 millions de dollars et officieux de 1 milliard de dollars. En octobre 1987, la station hydroélectrique de Balbina était fermée à cause de problèmes techniques insolubles et d’un déficit grandissant. La mise en eau avait recouvert 236 000 hectares de forêt tropicale qui n’avaient pas été déboisés. Les débris de la flore obstruent les turbines, les eaux stagnantes favorisent la prolifération des moustiques. Le désastre écologique s’accompagne d’un désastre social pour les deux villages indiens des Waimiris Atraoris déplacés de force et pour les fermiers qui n’ont reçu aucun dédommagement pour leurs terres inondées.
3. Le barrage de Tucurui, Brésil
La Banque Mondiale n’a pas financé le barrage de Tucurui qui doit être construit afin de produire l’électricité nécessaire au fonctionnement du complexe industriel de Grand Carajas, lequel a déjà détruit 400 000 kilomètres carrés de forêt amazonienne et chassé 10 000 indiens de leurs terres. Mais la Banque a versé 304,6 millions de dollars pour le projet de mine de fer qui constituait l’infrastructure de base de l’ensemble du plan (coût total : 4 milliards de dollars).
4. Le barrage de Changjiang, Chine
En mars 1992, le Congrès national du peuple chinois a décidé d’inclure dans son plan décennal la construction d’un immense barrage sur la rivière Changjiang. Il s’agirait, grâce à cette énorme construction de 185 mètres de haut et de 2 kilomètres de long, de produire de l’électricité, de réguler une partie de ce fleuve long de 6000 kilomètres et de le rendre navigable mais de déplacer 1 000 000 de personnes, ce qui serait le plus grand déplacement massif de population. Mais la construction de ce barrage aurait aussi pour conséquences d’innonder des surfaces cultivées et un nombre important de villes (dont les centres urbains de Fuling et de Wanxia), de menacer l’activité agricole en aval du barrage et de ruiner les riches pêcheries du delta. Ce projet dont le coût est chiffré à 11 milliards de dollars, n’est pas encore lancé, le gouvernement chinois a pour l’instant suspendu la décision à la suite de discussions au sein des instances locales.
Les réaction de la Banque Mondiale face aux oppositions
La Banque Mondiale, potentiel bailleur de fonds dans le cas du barrage de Chanjiang s’est contentée de plaider pour une mise en conformité des programmes de réinstallation des personnes et de protection de l’environnement avec les critères internationalement reconnus du « développement soutenable ».
A propos du cas de la Vallée de Narmada, elle a dû nommer une Commission indépendante d’évaluation des impacts.
La Banque Mondiale cherche à se donner une image de banque verte et humanitaire en imposant des mesures palliatives aux gouvernements ou en nommant des Commissions d’enquêtes, mais quelles que soient ces interventions « humanitaires », les expulsés deviennent rapidement de véritables réfugiés du mal développement - sans d’ailleurs que le développement régional escompté au nom duquel ces personnes ont été sacrifiées soit réalisé.
Seules jusqu’à présent les actions des opinions publiques ont contraint la Banque à renoncer à certains projets : elle a renoncé au barrage sur la Chico aux Philippines, et à celui sur la Namchoan en Thaïlande, mais aussi au financement des projets sur la Xingu en Amazonie.
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Etant donné l’impact des opinions publiques et des groupes de pression sur les actions de la Banque, qui malgré tout, cherche à valoriser son image, le contrôle de l’usage des fonds de l’Association internationale de développement, institution affiliée à la Banque, reste un atout important. Les contribuables des pays membres de la Banque, pourraient donc, à travers notamment des organisations non gouvernementales exiger un tel contrôle : dans l’exercice de cette citoyenneté se situe sans doute le seul espoir d’éviter de nouvelles catastrophes.
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FERRIE, Christian, S.N. in. LE MONDE DIPLOMATIQUE, 1993/02/01 (France), N° février
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